"Mystères avant noël"

Arthur vérifia sur sa feuille de route.
– Le passage d’Aladdin. C’est là que la première anomalie a été décelée.
– On te suit, chef !
L’avenue centrale qui menait à l’emblématique château de la belle endormie était déjà bondée. Une marée de bonnets en laine avançait en parlant et riant. Les enfants se pressaient un peu plus que les parents pour s’extasier devant les vitrines de Noël.
– Je vous assure que je n’en savais rien, dit Arthur qui peinait à se faufiler dans la foule. Ayons l’air normal.
Rob et Mars auraient pu, comme tous les autres, détailler la beauté des décors et se ruer vers les attractions emblématiques en chantant à tue-tête mais cette mission les rendait spéciaux, et ils adoraient ça.
– C’est mieux que n’importe quel Escape Game ! s’exclama Mars.
Ils voyaient le côté ludique et c’était peut-être mieux qu’ils ne pensent pas courir de danger. Même si la PDG n’en avait pas parlé, Arthur ne pouvait pas ignorer cette possibilité.
Ils débouchèrent sur la place enneigée et décorée au pied du château rose et s’en allèrent sur la gauche à l’entrée du monde d’Agrabah.
Des torchères leur souhaitaient la bienvenue. Le lustre oriental avait toute l’attention des badauds qui visaient leurs smartphones ou appareils photographiques vers les lueurs bleues étincelantes.
– Il ne va pas falloir être claustro…
Rob se rappelait très bien de cette partie du parc. L’attraction nommée « Le passage enchanté d’Aladdin » proposait aux visiteurs plusieurs vitrines des scènes miniaturisées du dessin animé. Le circuit se déroulait dans un couloir et plaisait beaucoup aux enfants. Ils collaient leur nez sur la vitre, émerveillés quand les parents ne leur demandaient pas de prendre la pose pour une énième photographie.
– Mars, Rob, regardez celles du mur gauche. Je prends l’autre côté. Faites-moi signe pour tout ce qui peut vous paraître suspect ou récemment ajouté.
Sur ce, ils se séparèrent pour analyser chaque vitrine. Arthur était rapide et précis, du moins compte tenu des familles déjà engagées dans l’allée. Il savait qu’il devrait sûrement faire les deux côtés puisque Rob et Mars n’avaient pas travaillé dans le parc. Pourtant, il fut surpris d’entendre son ami l’appeler.
– Qu’est-ce que vous avez ?
– Regarde là-dedans, tu vas vite comprendre, répondit Rob.
Ses deux amis se tenaient devant la scène de la caverne aux merveilles. On y voyait Aladdin brandir la lampe du génie. Autour de lui, montagnes de pièces d’or, statuettes précieuses et autres trésors l’entouraient. Le tapis volant s’animait au sommet d’une des dunes dorées, surpris ou heureux. En effet, un savant jeu de miroir et de projecteur faisait apparaître le génie devant eux. Une des scènes clés du long-métrage d’animation. Arthur se concentra sur le génie de la lampe, mais Mars lui dit :
– Non, non. Ce n’est pas ça.
Et finalement, une illumination survint. Le tapis volant n’était pas le seul témoin du réveil du génie. Habituellement, Abu, le singe d’Aladdin émergeait d’un vase, l’air paniqué.
– Abu a disparu !
Un autre objet se trouvait à sa place.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda Rob qui se tenait sur la pointe des pieds derrière eux.
– Une tête de mort…

– Une tête de mort ?! Une vraie ?
– Mais non ! répondit Mars.
La jeune femme le poussa pour constater de ses propres yeux.
– Bordel ! Ne me dis pas qu’on va tomber sur un macchabée !
– Mais non, tenta de se rassurer par la même occasion Arthur.
– T’en dis quoi, alors ? demanda son ami.
Tout en notant leur découverte sur la feuille de route, le grand brun déclara :
– Les vitrines ont été rénovées en 2016 alors rien ne justifiait une nouvelle intervention. Bien joué !
– C’est-à-dire que voir un vase s’ouvrir sur ce symbole m’étonnait…
– Mais celui ou celle qui a fait ça veut nous dire quoi ? demanda la jeune femme.
– Une mauvaise blague ? Son propre kiff ? espéra Mars en regardant son pote.
– Non, répondit Arthur. C’est un indice. Il nous dit où nous rendre. Direction Adventureland !
Alors Robine regarda de plus près et comprit pourquoi cette représentation lui était familière. C’était l’emblème de la franchise Pirates des Caraïbes.
Le trio esquiva les visiteurs qui s’agglutinaient près de Monsieur Mouche qui se faisait tirer le portrait. Derrière lui, le splendide bateau du Capitaine Crochet, récemment rénové lui aussi, attira l’œil de Mars. Mais c’est la grotte en forme de tête de mort, celle où Lily la tigresse faillit être noyée par l’ennemi de Peter Pan, qui éblouit Rob.
– C’est comme si celui du film avait pris vie.
– Ne traînassons pas, rappela Arthur.
Ils se retrouvèrent enfin au début de la file. L’attraction rendue encore plus célèbre depuis la création du film avec Johnny Depp réunissait petits et grands.
– Ouvrez l’œil dès maintenant.
– Moi qui pensais m’ennuyer dans les files d’attente, marmonna Rob en commençant à épier chaque coin.
– Sympa pour nous, dit Mars.
Malgré les multiples visiteurs, l’attente n’était pas si longue. Mais c’était un peu trop pour certains enfants qui trépignaient.
– Et dire que nous aurions dû avoir des coupe-files, se rappela Mars.
– Ça nous ferait gagner du temps, si seulement nous savions où chercher !
La foule avait son avantage : le bruit couvrait leur conversation.
– Arthur, tu penses vraiment que le… farceur est parmi eux ?
C’était difficile à croire. Parents, enfants, frères, sœurs et amis de tout pays faisaient la queue en souriant, mangeant, parlant ou s’enlaçant. La magie de noël et la magie du parc se lisaient sur leur visage.
– Ça m’étonnerait…
Ils entrèrent enfin à l’intérieur. Etre dans la file d’attente à cet endroit était moins gênant : il faisait enfin chaud. Une fois passé dans le coude, Arthur reconnut l’odeur caractéristique de l’attraction aquatique, comme le fit remarquer un jeune bambin :
– Ça sent la piscine, papa ! Hein dit ?
Le jeune homme regarda l’une des caméras cachées du couloir. La PDG devait les surveiller.
– Au moins nous aurons le temps de regarder les décors avec ce monde.
Avant de monter à bord des embarcations, ils scrutèrent les squelettes et autres images peu rassurantes dans les geôles, mais rien ne leur sauta aux yeux.
Ils prirent leur mal en patience jusqu’à atteindre les derniers tourniquets. Ils passèrent entre les poutres de bois et purent aller s’installer dans une barque. Un des employés salua Arthur lorsqu’il le reconnut, mais le jeune homme n’eut pas le temps de répondre. L’attraction venait de commencer. Dès cet instant, les trois enquêteurs tournèrent leur cou dans tous les sens pour scanner des yeux tout ce qui apparaissait. Il y avait de la pénombre et même si le mouvement sur l’eau était lent, il y avait beaucoup de choses à voir. Tous les visiteurs voguaient dans un décor de piraterie, par une nuit claire. De part et d’autre, navires attaqués, pirates en combat et autres tableaux bien connus du public se jouaient devant eux. Le très populaire Jack Sparrow ne manqua pas d’attirer l’attention des jeunes et des moins jeunes.
C’était le personnage attendu qui avait été rajouté l’été passé. Il émergeait d’un tonneau vers la scène de la vente aux enchères. Robine remarqua :
– Les femmes ont disparues. C’est une vente de bijoux maintenant.
– Oui, répondit Mars, c’est un choix du parc, pas de rapport avec notre enquête.
Le bateau achevait presque son circuit. Ils avaient été un peu éclaboussés dans une descente et se retrouvaient dans le dernier tableau haut en couleur riche de tous les débordements d’une ville de piraterie. Enfin, Jack Sparrow se tenait sur un trésor immense et chantait la célèbre chanson.
– Y’a rien… on trouve rien… chuchota Rob.
– Il va falloir refaire l’attraction… dit Mars.
– Non ! coupa Arthur, là-bas !
Le jeune blond montrait un squelette qui se trouvait figé dans les derniers instants de sa mort, un coffre au trésor coincé sous son bras. L’autre était levé dans une direction.
– Oui ! exultèrent Rob et Mars en chœur tandis que les passagers devant eux se retournaient en souriant, pensant qu’ils s’extasiaient du décor.
– Il n’y a rien, reprit Mars en regardant dans la direction que les phalanges de l’index pointaient.
Effectivement, il n’y avait qu’un mur en face.
– Il y a quelque chose derrière ce mur ? demanda Robine en enroulant une boucle brune avec nervosité.
Arthur sortit son plan de sa poche, bien qu’il fût quasiment persuadé qu’il n’y avait rien de ce côté-ci.
Mars assis à côté du jeune homme regardait.
– La sortie est par-là, s’il vous plaît, interrompit une jeune employée.
Les trois amis ne s’étaient pas rendu compte qu’ils venaient d’arriver au terme de la promenade sur l’eau. Ils se dépêchèrent de libérer leurs sièges pour laisser un autre flot de visiteurs.
– Rien, reprit Arthur. Mais… Oui ! Je viens de comprendre.
Sur le plan à l’échelle réduite, il posa son index à l’endroit que pointait le squelette. Il s’éloigna de l’attraction et se retrouva dans la ligne de mire du manoir hanté.
– Le Phantom Manor ! s’écria Rob.
– Il n’y a plus de doute maintenant. Il s’agit d’un jeu de piste.
– La question étant : pour trouver quoi ?

– « Petit papa Noël, quand tu descendras du ciiiel… »
Plusieurs enfants chantaient à tue-tête dans la file d’attente. Si au début, le gens autour d’eux trouvaient ça mignon, ça devenait moins supportable à force de répétition et de montée dans les aigus.
– Bon, on a compris Léa ! dit le père de la petite au bout d’un moment.
La chorale enfantine s’arrêta au grand soulagement de Mars :
– T’es sûr que c’était pas plutôt ça l’épreuve ? demanda-t-il avec ironie.
– Ils feront moins les malins dans quelques minutes, surenchérit Robine après un clin d’œil complice.
Elle ne s’était pas trompée. Après être passés dans le jardin magnifiquement dark du manoir où chaque élément du décor avait été étudié, des pierres vieillies, à la fontaine cassée en passant par les végétations sombres, les trois amis pénétrèrent dans l’ascenseur qui allait les mener à l’attraction.
Une mise en scène habile commença : les murs semblaient s’agrandir et dévoilaient la partie macabre de peintures bucoliques accrochées dessus. Lorsqu’un coup de tonnerre retentit, l’un des petits chanteurs en herbe éclata en sanglot, un classique dans cette attraction.
– Qu’est-ce que je vous avais dit ! chuchota Rob, fière d’elle. J’adore cette attraction.
– Sans cœur, répliqua Mars.
Les portes de bois de l’ascenseur coulissèrent pour dévoiler un long couloir. Tout était vieilli : le tapis, les lumières, les tableaux et les rideaux.
Plusieurs nacelles attendaient les visiteurs pour une promenade au cœur du manoir.  
Les trois amis n’avaient rien noté jusque-là et se promettaient d’être vigilants lors du circuit. L’ambiance déjà posée s’intensifiait. Il était question d’un mariage qui s’était a priori mal déroulé et dont les invités fantômes ainsi que les mariés revivaient sans cesse. Des jeux de miroirs et de lumières permettaient des illusions d’optiques pour mettre en scène la mariée au cœur sombre. Le piano jouait tout seul, les aiguilles tordues de la pendule tournaient à l’envers, signe du temps détraqué. Sur une table en lévitation, une tête parlait dans une boule de cristal.
– Surveillez bien la salle de bal ! ordonna Arthur.
C’était le clou du spectacle. Dans la longue pièce sombre, aucune ombre ne dansait à travers la lueur des flammes mais les fantômes assistaient au banquet et d’autres dansaient.
– L’orgue ! montra Rob.
Habituellement des ectoplasmes affolés s’échappaient des tuyaux de l’orgue qui jouait sa mélodie sinistre. Mais rien ne se passait, aucun effet n’était visible.
– Le projecteur peut être cassé ? demanda Mars.
– Je n’y crois pas trop…
Ils ne prêtèrent aucune attention à la dernière partie de l’attraction encore plus sombre qui se déroulait dans un cimetière ténébreux où la mariée éplorée apparaissait en squelette entourée de cercueils et de cadavres mort-vivants.
Ils cherchaient à comprendre la signification de cette absence de fantômes.
Soudain, leur wagon stoppa et une annonce familière se fit entendre dans les haut-parleurs :
« Nous sommes retenus par des esprits farceurs. Veuillez rester à l’intérieur de vos… »
– Génial !
– Estimons-nous heureux si ça n’arrive qu’une fois, vu le monde qu’il y a !
Ils s’étaient arrêtés face aux quatre bustes d’hommes qui chantaient.
– Alors ? Vous pensez vraiment que c’est un indice important ? demanda Robine.
Les bustes continuaient de chanter.
– Oh, puis on s’est arrêté au bon endroit en plus, marmonna Mars. Comme si on n’avait pas déjà assez souffert, dit-il en se rappelant des bambins braillant la comptine de Noël.
Mais la mélodie interpella le jeune homme.
– Ecoutez les paroles !
« Parce que ces fantômes sont partis… because these ghosts have flown away… »
– Eh mais oui ! déclara Robine alors que l’attraction repartait. J’ai compris. Regardez où nous sommes.
La toute fin du circuit les plongeait dans une ville fantôme du Far West.
– Développe !
– Cette attraction est liée au train de la mine !
– Big Thunder Mountain ? Ok c’est à côté mais…
– Rob a raison ! Tous les gens ne le savent pas, mais cette attraction est aussi sur le thème des fantômes. C’est une mine hantée qui joue des tours aux mineurs.
– Et donc les fantômes sont partis… là-bas ?
– C’est ça !
– Allez ! Go !
A peine leur voiture engagée dans le couloir de sortie, les trois amis s’élancèrent vers l’attraction la plus emblématique de cette partie du par : le train de la mine.

– Finalement, la feuille de route de madame Halliwell ne nous sert pas à grand-chose, constata Rob.
– Elle ne s’attendait pas à trois gros cerveaux comme les nôtres, fanfaronna Mars.
– Pour l’instant. Mais si nous manquons un indice, elle nous servira.
Ils marchaient dans la rue principale d’une ville du Far West. Des guirlandes de noël s’enroulaient sur la rambarde du Silver Spur Steakhouse. Des odeurs de viandes grillées se faisaient déjà sentir et des clients réservaient leur place pour le repas du midi, bien résolus à se mettre dans la peau des cow-boys.
– Ce que je ne comprends pas, reprit Rob, c’est où voudrait en venir celui qui a préparé tout ça… Le FBI sur le sol français, l’inquiétude de la PDG… ça me semble exagéré, non ?
– Rien ne doit être sous-estimé. On ne sait pas de quoi il s’agit… Puis les risques qu’il ou qu’elle a pris, la façon dont il a réussi à berner tous les systèmes de surveillance et de sécurité sont alarmants.
– Super ! Tu me fous la frousse maintenant.
Ils venaient d’atteindre l’entrée pour accéder au manège à sensation. Encore une fois, la foule de gens couvrait les bruits. On aurait pu croire que tous les visiteurs du parc s’étaient réunis devant l’attraction.
– Une heure et demie d’attente ! pesta Rob.
Arthur se mura dans ses réflexions.
– Je tente le coup.
Le jeune homme extirpa son smartphone de sa poche et tapa un numéro secret. La PDG lui répondit.
– A ce train-là, nous n’aurons pas assez d’une journée pour tout faire. Nous sommes sur un jeu de piste et accumulons des indices pour trouver la solution. L’individu nous mène d’un point à un autre.
– Oui, je suis votre progression, vous faites du bon travail. J’épluche mes données pour trouver un sens à tout ça en parallèle. Que proposez-vous ? Je suis d’accord pour vous faire accélérer mais c’est trop tôt pour être téméraire et se relâcher. Je pense toujours qu’il est dans le parc.
– Robine et Martial sont pertinents. Laissez-les monter en priorité pour cette attraction. Je m’occupe de circuler dans la file d’attente pendant ce temps. J’ai besoin d’un prétexte.
Maggie, efficace et intelligente ne tarda pas à lui annoncer :
– Je préviens le chef de file qu’ils sont des enfants de mes amis. Dans trois minutes, ils passeront en VIP. Prenez votre air de chien battu et parcourez la file pour demander s’ils ont trouvé un téléphone portable, ils compatiront tous à votre malheur, dit-elle ironiquement. Je raccroche.
Arthur expliqua le stratagème à ses deux amis qui s’en allèrent à l’assaut des wagonnets. L’ex-agent de sécurité dissimula son téléphone dans son sac pour ne pas qu’il apparaisse dans la poche de son jean et s’en alla vers la file.
Face à l’énorme attraction, entourée d’eau que le bateau à roue « Mississipi » empruntait, il commença sa fausse quête.
En français, en anglais ou en espagnol, il s’adressait aux adultes et enfants :
– Excusez-moi, j’ai perdu mon téléphone en faisant la queue, vous n’avez rien à vos pieds ?
Plusieurs d’entre eux semblaient désolés pour lui, tous répondaient par la négative et lui permettait de progresser dans les méandres de l’interminable dédale. Indifférent au décor de mine, aux objets des mineurs exposés et au paysage du Far West, il progressait assez lentement parmi la foule. Arthur en profitait pour surveiller chacun d’entre eux, mais aucun n’avait l’air suspect. Tous étaient là en groupe. Pourtant, il persévéra.
Au bout d’une quinzaine de minutes, il arriva au bout et le cast member de l’attraction se présenta à lui :
– Arthur ?
– Bonjour Gabriel, j’ai perdu mon téléphone et…
– Eh, monsieur, on vous appelle, interrompit une maman à côté d’eux.
En contrebas, Rob jouait la comédie. Elle brandissait son smartphone en l’air en criant :
– On a retrouvé ton téléphone !
Arthur feint le soulagement.
– Ah, super… soupira-t-il.
– Viens, passe par là, lui dit son ancien collègue.
Gabriel ouvrit un portail en bois et le jeune homme put rejoindre ses deux amis sans avoir à faire le chemin arrière parmi les gens.
Robine était toute décoiffée. Tout en passant ses mains dans ses boucles pour les rendre plus dociles elle pépia :
– Je crois qu’on a l’indice ! Mais le train allait trop vite.
– C’est vers la fin, enchaîna Mars.
– Très bien ! Montrez-moi.
Il déplia son plan et expliqua :
– Voilà, les rails sont ici. La dernière portion du manège est là, dit Arthur en suivant une courbe rouge avec son index.
– Ok, alors c’était près des cactus, après une vrille, précisa la jeune femme. Un objet qui brillait.
– Tu n’as vraiment pas d’idée sur ce que c’était ? La forme ou la taille ?
– Non, juste grâce au reflet du soleil, comme sur un miroir ou une fenêtre. Et c’était petit.
– Il suffit de refaire l’attraction, suggéra Mars.
– J’ai plus rapide.
Arthur appela à nouveau Maggie Halliwell. Il lui expliqua rapidement :
– Il y a un objet suspect dans la zone TNT7. Au pied des cactus.
Il entendit la PDG demander à son collègue :
– Vous pouvez zoomer sur la caméra 5, zone TNT7 ?
Après quelques secondes de silence, madame Halliwell lui dit :
– Effectivement, il y a une pantoufle de verre.

– Oh là là, j’ai trop froid. Je ne sens plus mes doigts de pieds !
L’air glacial empêchait la belle éclaircie de les réchauffer. Rob accéléra le pas mais elle fut obligée de ralentir. Ils se trouvaient devant la place du château, un carrefour dans le parc qui était noir de monde.
– C’est pire qu’un Black Friday à New York !
Ils passèrent près du splendide carrousel de Lancelot dont chacun des destriers de bois portait un jeune cavalier.
L’héroïne à la pantoufle de verre n’avait pas d’attraction principalement dédiée malgré sa popularité : elle faisait partie des princesses historiques incarnées dans la parade.
– Ne comptez pas sur moi pour aller arracher sa godasse, dit Robine avec humour.
Mais Arthur les menait vers « L’Auberge de Cendrillon », juste derrière le manège de chevaux de bois.
– On commence par la statue. Si on ne trouve rien, on entrera dans le restaurant, expliqua l’ex-agent de sécurité.
– Quelle statue ? demanda Mars.
– Tu verras.
Après avoir joué des épaules pour traverser la place haute en couleurs, les trois jeunes gens débouchèrent sur la fontaine qui représentait la future princesse. Dans un aspect de bronze vieilli, Cendrillon, dans sa tenue de domestique, était assise, jambes croisées, un oiseau sur sa main et ses amies les souris à ses pieds. La fontaine s’inscrivait sur un arrière-plan décoré de feuilles et fleurs de citrouille.
– Je ne l’avais jamais remarquée ! s’étonna Mars.
– Il faut dire qu’il y a tellement à voir dans le parc.
De plus, la statue était plutôt discrète et pas si grande. Elle était donc facilement dissimulée derrière les visiteurs. Un groupe de jeunes femmes aux doux traits exotiques de l’Asie venait de s’en approcher pour la prendre en photo sous tous les angles.
– Ah, c’est le moment les gars ! dit Rob en enlevant son sac à dos pour fouiller dedans.
Mars et Arthur se demandaient ce qu’elle fabriquait. Elle en sortit un petit appareil photo numérique.
– Rappelez-vous, on doit se fondre dans la masse. Il serait temps, nous n’avons pas été très discrets au train de la mine.
Sur ces paroles, la jeune photographe s’en alla rejoindre le petit groupe de touristes. Elle contourna en arc de cercle la statue de gauche à droite en appuyant sur le déclencheur, fit semblant de s’extasier :
– Vous avez vu les garçons ?
Mars et Arthur lui répondirent d’un geste et s’assirent sur un banc miraculeusement libre. Rob vint les rejoindre.
– J’espère que j’ai eu quelque chose…
Les deux hommes s’écartèrent pour qu’elle s’asseye entre eux. Ils se penchèrent sur l’écran pour consulter les clichés. Elle avait pris huit photographies. Pour chacune d’elle, elle zoomait et se déplaçait de haut en bas. L’immobilité rendait le froid encore plus mordant, et les doigts de Rob maniaient lentement les petits boutons de l’appareil, ce qui agaçait la jeune femme.
– Vas-y, donne-le-moi !
Mars continua la recherche et Rob put enfouir ses mains dans ses poches moelleuses.
– Reviens en bas ! ordonna Arthur. Là ! C’est quoi ? Zoome encore, s’il te plaît.
Le jeune homme avait raison. Dans l’ombre, sous les plis de sa robe, quelque chose semblait gravé.
– C’est illisible, trop petit.
– J’y retourne, dit son ami.
Mars s’en alla près de la fontaine pour reprendre d’autres photos. Arthur et Robine le voyait se concentrer sur la zone pour déchiffrer les gravures. Il actionna le zoom pour faire un gros plan et revint vers eux.
– Regardez ! dit-il en se rasseyant sur le banc.
En se penchant, Robine posa sa joue sur son épaule et lut :
– 12.04.1991.
– Qu’est-ce que c’est ? D’après toi, demanda Arthur à son pote.
– Vraisemblablement, une date, non ?
– Alors, pourquoi notre gus a-t-il gravé la date du 12 avril 1991 ?
Arthur avait l’air hébété devant ses deux amis qui misaient leurs espoirs sur lui. Il dut se résoudre à avouer :
– Je n’en ai aucune idée.

– Vraiment aucune idée ?
– Est-ce vraiment une date ? demanda Rob.
– Oui, presque certain. Mais là, comme ça…
– L’ouverture du parc ? proposa Mars.
– Non, c’était en 1992, répondit Arthur.
– L’achèvement de la statue alors ?
– Non plus… Et même si c’était l’un ou l’autre, nous ne serions pas plus avancés.
– Bon, je demande à monsieur Google.
Robine dégaina son smartphone et le leva désespérément en l’air.
– Merde, aucun réseau… et vous ?
– Non, plus…
– Bon, qu’est-ce qu’on fait ? On ne peut pas rester comme ça…
– Il veut que nous nous creusions la cervelle.
Arthur se retourna vers la place centrale.
– Si j’étais à la place de notre farceur, je pense que j’aurais voulu mettre un indice dans un lieu symbolique, dit-il en fixant le château qui leur faisait face.
– Oui, je suis d’accord ! surenchérit Rob.
Ils se retrouvèrent bientôt sur le chemin d’accès au château de la belle au bois dormant. Rob ne put s’empêcher de prendre un moment pour contempler la silhouette enchantée. Il était inscrit dans les mémoires collectives, son allure gothique inspirée par le Mont-Saint-Michel et par le château allemand de Neuschwanstein. Ses toits bleus coiffés de flèches d’or scintillaient sous les lumières de Noël, le rosé de ses murs était doux et l’ensemble se découpait dans le ciel blanc dans une parfaite harmonie.
Le pont était submergé par une foule ébahie qui admiraient le parfait château des contes de fées. Une cascade d’eau étudiée dévalait le côté jardin où des arbres taillés en cube apportaient la touche de verdure magnifiant l’ensemble.
– Rob ! Tu nous suis ?
– J’arrive ! dit-elle en se précipitant pour rattraper son retard.
Ils dépassèrent l’arche d’entrée.
– Bon, le truc ici, ce sont les vitraux. Retournez-vous, le médaillon principal derrière, il est censé changer, expliqua Arthur.
Ils scrutèrent tous les trois le vitrail principal visible de la façade extérieure. Effectivement, au bout de quelques secondes, ils pouvaient voir une rose se substituer aux deux colombes.
– Oh ! Je ne savais pas non plus pour ça, dit Mars. Alors ?
– Rien, dit Arthur, c’est normal. Bon, on va essayer de monter. Vitraux, tapisseries et statues sont à regarder, je m’occupe des parois sculptées.
– Mais, ça va nous prendre des plombes ! dit Rob.
– C’est vrai qu’il faudrait arriver à faire tous les points touchés par les anomalies, surenchérit Mars.
– Prenez des photos, on regardera tout à l’heure et nous les transmettrons à Halliwell.
Entre les visiteurs, ils s’en allèrent récolter les images, tout en regardant si rien ne leur paraissait suspect. Respectant l’art du XIIème siècle, les maîtres verriers avaient réalisés des pièces uniques et magnifiques qui baignaient de lumières colorées les pavés et les murs tapissés. Chaque vitrail et tapisserie racontait un moment de l’histoire de la princesse Aurore.
Tous les trois se retrouvèrent au niveau de l’escalier de sortie.
– Rien à signaler.
– Pareil. On verra sur les images si on a loupé quelque chose.
Arthur sortit son plan. Ses deux amis le sentaient nerveux.
– On va reprendre la feuille de route. C’est chiant, on avançait bien !
– Il est à peine midi, Artie. T’inquiète, on a encore du temps, tenta de le rassurer Mars.
Il regarda le feuillet et annonça :
– Bien, allons faire un tour du côté de Peter Pan. Nous passerons par la file des FastPass, nous avons un créneau.
– Allez, c’est reparti ! déclara Mars en couvrant le gargouillis de son estomac.

– Je m’excuse encore pour ce plan foireux… dit Arthur.
– Ce n’est pas si mal, tu sais. Si on voulait pimenter notre journée, c’est même carrément réussi.
– Moi, j’avoue, je kiffe ! dit Mars. Bon, j’espère juste que vous n’êtes pas tombés sur un cinglé mais… on ne risque rien avec la sécurité et tout, hein ?
– T’imagines quoi ? Moi je pense que c’est un jeu, une farce, déclara Rob.
– J’espère que tu as raison…
Ils venaient d’arriver devant les bornes qui distribuaient les tickets FastPass, les précieux sésames qui permettaient de passer par une file d’attente beaucoup moins longue. Parmi les attractions familiales, celle du vol de Peter Pan était des plus appréciées. Arthur sortit son billet d’entrée pour le scanner. Mais rien ne se passa.
– Mince… Ils ont tous été écoulés.
– Combien d’attente annoncée, Rob ?
– Quatre-vingt-dix minutes !
– Il va falloir se séparer les gars…
– Merdum ! Désolée, mais je commence à avoir vraiment les crocs en plus.
– Attendez que je réfléchisse.
– Rappelle Halliwell ! Demande à tes collègues de te faire passer…
– Deux secondes !
Le jeune homme consulta les plans du parc et se focalisa sur celle-ci. Deux caméras avaient été piratées. Arthur marmonna dans ses moustaches et déplaçait son doigt en visualisant l’intérieur du circuit. Mars et Rob échangèrent un regard. Ils patientaient et se retenaient de lui demander plus d’informations.
– Ok ! dit-il triomphant. Ecoutez, je crois que nous n’allons pas avoir besoin de faire l’attraction.
– Ah bon ?
– Je peux me glisser derrière le décor, ici. Je pourrais voir sans me faire repérer toute la zone couverte par les images de vidéo-surveillance.
– Comment tu vas faire ?
– J’ai le passe pour toutes les zones sécurité. Je vais voir l’équipe, je rentre et je reviens.
– On ne bouge pas ! dit Rob.
Arthur s’empressa de rejoindre ses anciens collègues. Le bruit de la foule était assourdissant, comme dans une cour d’école. Les enfants, pour patienter, chantaient, jouaient ou questionnaient leurs frères, sœurs, amis ou parents. Samantha, l’employée qui gérait l’attraction dût élever la voix lorsque le jeune homme s’approcha :
– Tiens, Artie ! T’es encore là ?
– Dernier jour. Je procède à une vérification rapide et je m’en vais, dit-il en lui montrant sa clé que Maggie lui avait rendue quelques heures plus tôt.
– D’accord, je t’en prie.
Elle lui fit passer le tourniquet. Arthur s’en alla vers les portes de service. Juste avant de s’engouffrer dans les couloirs, il se retourna pour lui dire :
– Au fait, sympa le bonnet de noël !
Après quoi la jeune femme rigola.
Le jeune homme passa les portes et le calme revint. Il emprunta plusieurs couloirs. Maintenant, il pouvait entendre la mélodie de la fée clochette, par-delà le brouhaha des visiteurs et des machines qui s’actionnaient. Arthur attendit un peu, le temps que ses yeux s’habituent à la pénombre. Les lumières d’ambiance n’étaient pas très puissantes.
Il avança à tâtons, puis se posta derrière un mur duquel une maigre ouverture avait été faite. C’était là où passaient plusieurs câbles électriques. C’était aussi très pratique pour observer l’intérieur du manège. Les navettes en forme de petit navire volaient, accrochées à des rails au niveau du plafond. D’où il était, il voyait le décor : Big Ben, Tower Bridge et les voitures minuscules roulant sur les rues londoniennes.
C’était la deuxième salle, après que Wendy, Michel et Jean ne s’envolent de leur fenêtre pour le Pays Imaginaire. Il observa plusieurs fois chaque détail mais rien ne lui sautait aux yeux. Il se mit à penser que le manque de lumière pouvait le déranger à cette distance. Il allait sûrement devoir monter à bord d’une nacelle.
Prêt à revenir vers Samantha pour passer sur un des prochains wagons prêts à partir, il tourna les talons. Son regard ne manqua pas une des caméras. Un éclair de génie le traversa. Il n’avait pas regardé en dehors de l’attraction, dans le couloir même où il se trouvait. Il se permit de sortir son Iphone pour mettre en marche sa lampe torche. Il éclaira la succession de câbles, de tuyaux et autres éléments techniques de cette arrière-attraction. Il ne vit rien. Alors il passa sa main entre les câbles. Enfin, vers le milieu, il tomba sur une étoffe douce. Il tira dessus. C’était son indice.
Arthur le rangea dans sa poche et rejoignit la sortie. Il salua sa collègue qui ne s’étonna pas de ses mains sales. Le jeune homme retrouva Rob et Mars qui semblaient se chamailler. La jeune femme avait le dessus. Arthur ne voulut pas savoir de quoi il retournait, ça n’avait pas l’air sérieux. Il les coupa :
– Bon, voilà qui devrait vous calmer ! J’ai trouvé ça !
Il leur montrait une serviette en tissu. L’un des coins était brodé.
– « Walt’s » ?
– Le restaurant !

– Oh ça ne pouvait pas mieux tomber ! Je vais mourir de faim !
– Tu crois qu’on va débarquer comme ça et qu’ils vont nous servir nos assiettes ? répliqua Mars avec ironie.
Son ami n’avait pas tort. Walt’s comptait parmi les restaurants prestigieux du parc original. Il se trouvait dans Main Street et était dédié au grand homme qui avait créé tout cet univers. Sans réservation, impossible d’avoir une table et ce parfois un mois à l’avance.
– Si je ne mange pas, je vais devenir insupportable. C’est pour la mission ! geignit Robine.
– On va attraper un hot-dog au vol.
Mais Arthur avait déjà collé son téléphone à son oreille. Maggie Halliwell décrocha à la seconde près.
– Dites-moi que tout se passe bien, dit-elle sans préambule.
– On avance. Il faudrait que nous allions chez Walt’s.
– Je gère.
Pendant qu’elle le faisait patienter, Arthur murmura à ses deux amis :
– Elle s’en occupe !
Robine regarda Mars en écarquillant les yeux de joies :
– On va manger chez Walt’s !
Maggie se manifesta à nouveau à l’autre bout du fil :
– Vous avez trente minutes. Nous allons repousser une réservation, on s’excusera, nous leur offrirons deux places pour le retard. De toute façon il faut que vous repreniez des forces.
– Très bien, merci madame Halliwell.
Il raccrocha alors que Rob sautait au cou de Mars.
– Hourrah ! Vite, à taaable !
Ils revinrent dans l’allée de Main Street, avançant à contre-courant de la marée d’hommes, de femmes et d’enfants qui continuaient d’affluer. Rob serra à droite et longea les vitrines somptueuses des devantures de magasins et de restaurants. Elle tourna dans la première ruelle à droite.
Lorsqu’ils entrèrent dans le restaurant, le calme surprit les jeunes gens. La rue de Main Street qu’il venait d’emprunter était ultra colorée avec ses lourdes guirlandes. L’enseigne promettait un univers charmant : Walt’s, An American Restaurant. Déjà des photographies de Walt Disney les accueillaient sur les murs du hall d’entrée.
Un maître d’hôtel vint à leur rencontre et ils furent menés à une table dans une salle somptueuse à l’étage. Le restaurant en comportait cinq. Cinq salles pour représenter les cinq mondes de Disneyland. Elles étaient toutes de style victorien mais s’adaptaient au thème des différents univers. Arthur, Mars et Rob allaient manger dans celle dédiée à Fantasyland®. Le bleu prédominait sur les tapisseries, les tentures et les dossiers de tissu aux motifs floraux. Des poutres de bois aux allures gothiques se rejoignaient dans la salle et des esquisses et photographies étaient accrochées au mur.
– C’est trop canooon ! dit Rob.
Ils n’allaient pas pouvoir rester longtemps. Ainsi, le serveur finement habillé leur expliqua qu’ils n’allaient avoir qu’un plat.
– Bon, Arthur, est-ce que tu es sur une piste ? demanda Rob.
– Tout est possible… Nous allons devoir continuer à suivre la feuille de route. Je ne suis pas certain que cette serviette soit un indice de notre individu… Ici, les caméras ont fonctionné correctement.
– Ah…
Trois assiettes de purée et de viandes mijotées furent servies.
– On regardera les cadres, mais nous n’allons pas pouvoir être très discrets… reprit Arthur entre deux bouchées.
Les quinze minutes suivantes furent silencieuses. Ils dévoraient le plat succulent et bien chaud.
– Bien… Mes neurones se reconnectent, je le sens ! déclara Mars en repoussant son assiette immaculée.
– On est trop bien ici. Je commençais à avoir tellement froid.
Arthur, restant professionnel, scannait déjà les photographies qui lui faisaient face. Il eut du flair car l’une d’elles attira son attention. Plus précisément, la légende qui figurait en dessous, gravée sur un écusson doré :
« 12 avril 1991. Dernière année de construction du parc ».
– C’est la date inscrite sur la statue de Cendrillon ! s’exclama le jeune homme.
Ils se précipitèrent tous les trois vers la photographie.
Elle était en noir et blanc. Une cinquantaine d’hommes et femmes de chantier posaient devant le château en pleine construction. Ils se concentrèrent tous les trois à la recherche d’une nouvelle réponse.
– Rob, tu peux me rappeler en quelle année est mort Walt Disney ? demanda Arthur.
– 1966, répondit-elle, aussi occupée avec Mars à détailler le cliché.
Il toucha leur épaule pour qu’ils s’arrêtent puis posa son index au milieu de la photo.
Parmi les employé se trouvait un homme au regard d’enfant, à la raie soignée, à la moustache légendaire : Walt Disney en personne.
– Qu’est-ce que c’est qu’ce bordel ?!

– C’est lui… C’est vraiment lui ! répéta Arthur en regardant de plus près.
– Walt Disney aurait encore été en vie en 1991 ?! répéta Rob.
– Tu trouves qu’il a quatre-vingt-dix ans sur cette photo ? lui demanda Mars en se tournant vers elle. C’est un montage !
– Oh bah oui, j’suis conne…
– Mais non, trop naïve, c’est mignon !
– Arthur, tu l’avais déjà vue cette photo ?
– Je ne sais pas, je n’ai jamais fait attention. Mais on l’aurait forcément remarquée si elle avait été là depuis longtemps.
– L’effet est nickel, c’est fait par un pro ! surenchérit Mars en observant d’un œil expert.
Ils vinrent se rasseoir à table.
– Le temps pour un dessert ? demanda le serveur en retirant leur assiette. Ceux qui ont réservés n’arriveront que dans vingt minutes.
– Parfait ! répondit la jeune femme.
Trois nouvelles assiettes aussi bien travaillées que les précédentes furent dévoilées. Ils purent déguster leur pâtisserie chocolatée tout en réfléchissant.
– Je me demande vraiment si ce n’est pas quelqu’un du parc, un fanatique de Disney qui s’amuse juste. Tu penses à qui ?
– Tu sais Mars, je pense qu’au moins une moitié des employés qui vient ici est fan de son univers. Alors autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
– Quelqu’un qui a des connaissances en matière de retouches d’images ? Non, tu ne vois personne ?
– Non, je ne connais pas à ce point tous mes collègues tu sais. Et c’est surtout que je n’ai pas été amené à les rencontrer tous.
Robine essuya le reste de chocolat sur ses lèvres et déclara :
– Fan de Disneyland ou pas, ça ne s’arrête pas là. Quel intérêt d’avoir pensé à tous ces éléments si le but n’était que de trouver le montage d’une photographie dans un restaurant peu accessible ? Est-ce que le mec ne pourrait pas te connaître, sachant que tu seras capable de trouver rapidement et facilement de par ta position ?
– Il y a une part de chance aussi. Et vous étiez là !
– Il ou elle se fiche de quand tout ceci allait être trouvé… dit Mars.
– Ou bien, la chose à découvrir se manifestera d’elle-même au bout d’un certain temps ?
– Là, ça devient flippant…
– Ça l’est déjà un peu, non ?
– No panic, no panic, rassura Arthur. Tu as raison Rob, nous ne sommes qu’à la moitié de cette « chasse au trésor ».
Il regarda ses plans qui commençaient à être chiffonnés.
– Nous n’avons pas d’autres indices pour la suite. J’ai noté tout ce que l’on avait trouvé. Je pense que nous devrions aller dans l’autre parc.
Il pointa le Walt Disney Studios®.
– En chemin, prêtez attention aux visiteurs au niveau de l’hôtel, du contrôle sécurité et des accès. On ne sait jamais…
– Bien, on commence par quoi ? Est-on certain de ne pas trouver d’autres indices ici ?
Ils enfilèrent leurs manteaux et vinrent observer une dernière fois la photographie.
– On a rajouté Walt. Est-ce qu’il y aurait autre chose ? Les détails comptent, dit la jeune femme.
– En-dessous du titre sur le journal ! dit Arthur.
Il s’empressa d’écrire la suite de chiffre énigmatique insérée sur le papier que Walt tenait dans sa main : 20.15.21.18/20.5.18.18.5.21.18.
– Mars, pitié, dis-moi que cette fois ça a un sens.
Son ami se concentra quelques secondes et trouva rapidement.
– Une donnée numérique pour chaque lettre alphabétique ! T’as un stylo ?
Il prêta son porte-plume et Mars gribouilla sur ses papiers. Il déclara :
– Il y a deux mots : « tour » et « terreur ».
– Génial ! T’es trop fort ! s’exclama Rob en posant un baiser sur sa joue.
– Eh bien la Tour de la Terreur ce sera !

Le ciel laiteux laissait vagabonder de rares flocons. Robine, Martial et Arthur ajustèrent leurs bonnets. Les allées avaient été dégagées mais les parterres de fleurs au niveau de la statue en face de l’hôtel étaient tout blancs. Les guirlandes d’épines de sapin et de lumières semblaient les guider jusqu’à l’entrée du second parc. Une musique rythmée par des grelots sortait des haut-parleurs, elle fut remplacée par des thèmes instrumentaux de classiques du cinéma lorsqu’ils dépassèrent l’entrée des Studios.
Ils n’eurent pas le temps de profiter des décors du premier hangar que chacun des visiteurs devait traverser pour entrer sur la place principale. Pourtant il y avait encore beaucoup à voir, dans ce premier studio rappelant l’ambiance des plateaux de tournage hollywoodien. La douce brise du chauffage régala leur peau une dernière fois avant qu’ils ne ressortent du bâtiment.
La touchante statue de Walt tenant par la main Mickey apparut alors et quelques pas plus loin, l’attraction se dressa bientôt devant eux. Une des plus belles selon Rob. La Twilight Zone Tower of Terror® se voyait de très loin tant elle était haute.
– C’est les renforts pour la période de Noël, dit Arthur en désignant les Cast Members costumés en grooms. Je ne les connais pas.
– On va devoir faire la queue ?
– Oui, de toute façon, l’attraction commence dès qu’on entre à l’intérieur, tu vas voir.
En effet, les employés jouaient à fond le jeu. Ils se voulaient décalés et contribuaient à l’atmosphère si particulière des lieux. C’était censé représenter un hôtel hollywoodien qui avait été fermé dans les années 30. Comme tous les autres visiteurs, Arthur, Rob et Mars venaient d’entrer dans le hall. On y trouvait la réception, qui devait être belle autrefois. Le mobilier était encore là, envahi par la poussière et abîmé par le temps.
– Vous voyez quelque chose de louche ? demanda Mars.
– Le seul truc louche c’est le groom, répondit Rob.
Le jeune homme, anglais d’après son accent, les regardait avec un sourire démoniaque.
– Flippant…
Pendant que les trois amis passèrent le tourniquet, il les suivit du regard, sans se départir de son sourire, jusqu’à ce qu’ils arrivent devant lui. Il s’adressa à Rob, d’une voix mystérieuse :
– Vous êtes prête, mademoiselle ?
– Oui.
Sur ces mots, une double-porte automatique s’ouvrit. Le groom les fit entrer avec une quinzaine d’autres personnes dans la bibliothèque. Le décor était tout aussi réussi et dans le même esprit que le hall. Près de longues et hautes étagères remplies de livres poussiéreux, une vieille télévision s’alluma.
Pendant que défilait sur l’écran la mise en situation de cet hôtel hanté, intrigue de la Quatrième dimension, Arthur observa le public. Il restait convaincu que l’individu qui jouait avec eux n’était pas là. Il desserra son écharpe, il commençait à avoir chaud.
Le poste de télévision s’éteignit et les visiteurs furent amenés dans la dernière partie de la file d’attente. C’était là l’accès aux différents ascenseurs de l’attraction.
Un autre Cast Member, vêtu comme ses collègues d’un uniforme bordeaux et d’un chapeau à la Spirou, était posté devant l’un d’eux. Rob ne l’avait pas remarqué et lorsqu’il se faufila derrière elle, elle cria :
– Bordeeel !!!
Ce qui fit rire tous les autres, même les petits qui commençaient à s’angoisser. Le groom lui dit :
– Tu vas prendre l’ascenseur, tu sais, c’est dangereux, il pourrait tomber !
– Oui, oui… dit-elle pas du tout emballée par ce jeu de rôle. La vache, j’ai mon cœur qui va exploser !
Il ouvrit les portes de l’ascenseur en riant. Arthur, Rob et Mars prirent place sur la quatrième rangée, au fond. Pendant que le groom faisait son numéro, ils regardèrent tout autour d’eux.
– Les gars, on a encore rien trouvé ici… se désolait Arthur.
– Il n’y a peut-être pas d’indices sur toutes les attractions touchées par les anomalies, chuchota Mars très bas. C’est peut-être pour autre chose, pour « l’après » que le mec a eu besoin de pirater les caméras…
– L’attraction n’est pas terminée, rappela Rob.
L’homme actionna le bouton pour refermer la porte et l’ascenseur commença à monter.
– Merde…
– Qu’est-ce que t’as, Mars ?
– Dans tout ça, j’ai oublié que cette attraction me fait carrément flipper.
– Elle ne dure pas longtemps. Tiens, regarde, c’est tranquille pour l’instant.
L’ascenseur s’était arrêté et une porte s’était ouverte. On y voyait comme dans un miroir un couloir et un autre ascenseur dans lequel se trouvaient des silhouettes.
– On dirait Steven Tyler, dit Mars en observant le groupe fantomatique.
– Qui ?
– Le chanteur d’Aero… AAAaaah !
Mars n’eut pas le temps de répondre qu’il criait aussi fort qu’un cochon. L’ascenseur simulait une chute libre, puis remonta, les portes s’ouvrirent quelques secondes dévoilant le parc, puis l’attraction chuta à nouveau.
– AAaaaaah ! criait Mars en fermant les yeux.
Les dernières secondes lui parurent longues. D’autres criaient aussi, beaucoup rigolaient, comme Rob et Arthur. Puis tout s’arrêta et le groom ressurgit en ouvrant la porte et se ruant dans l’ascenseur, provoquant un dernier cri des enfants placés devant.
– Et vous pourrez revenir à l’hôtel quand vous voulez ! dit l’employé en riant.
Dans le couloir de sortie, Rob déclara :
– De la bombe ! Par contre je sens mon repas qui remonte…
– Mars, ça va ?
– Je vous déteste !!! dit-il encore blanc.
– Et en plus il a trouvé où nous devions aller.
– C’est vrai ?
– Oui, allez, filons ! J’ai vu le chanteur d’Aerosmith parmi les fantômes.

– Trois minutes de loopings pour rien…
– Je pourrais croire que tu as peur, chochotte ! railla Rob.
– Eh, coupa Arthur, on ne peut rien voir, mais on peut entendre ! Concentrez-vous sur la musique.
– On ne sort pas d’ici tant que nous n’avons pas de nouvel indice. Quitte à refaire le manège ! Mars ? Martial, tu m’écoutes ?
Mais le jeune homme restait figé. Rob et Arthur se retournèrent vers les wagons qui venaient d’arriver.
Ils étaient tous vides. Mars blêmit et se tourna vers ses amis :
– Les passagers ont disparu…
Arthur et Rob éclatèrent de rire.
– Ça va pas bien ? dit-il, toujours paniqué.
– Martial… ah ah… Arrête de flipper, les gens descendent avant que les wagons ne reviennent jusqu’ici.
Robine se tenait les côtes :
– Tu vas me tuer, Mars.
Le groupe derrière eux souriait, gagné par les rires communicatifs,
– Te moque pas ! Y’a de quoi être parano avec tous ces trucs.
Le jeune homme était vexé mais reprenait des couleurs.
– En route !
Le malentendu eut l’avantage d’occuper Mars. Un employé vérifia que chaque passager avait bien baissé le harnais de sécurité et le train repartit se mettre en position de départ.

3 … 2 … 1 !

Le train fila à une vitesse démente. Les premières vrilles arrivèrent, une musique d’Aerosmith s’échappait des écouteurs sur le repose-tête et des faisceaux de lumière rouge et jaune entrecoupaient le noir. Tout le monde criait et riait à bord. Mars, Arthur et Rob essayaient de saisir chaque parole de la chanson. Mais elle se coupa. Rob essaya de jeter un œil à Mars à côté d’elle mais la force centrifuge l’empêcha de tourner la tête alors que les wagons faisaient un looping.
Le son revint, mais ce fut un son bien différent :
Nage droit devant toi, nage droit devant toi ! claironnait une voix familière.
Puis la musique rock reprit soudain. Le manège ne cessait de tournoyer sur les rails à peine visible dans l’obscurité. Et enfin, il ralentit dans un tunnel où des lumières clignotaient.
Effectivement, ils ne descendirent pas dans la même salle où il était monté, ce qui acheva de rassurer Mars. En revanche, Rob avait l’air d’un fantôme.
– Alors, c’est qui la chochotte ? lui demanda le jeune homme, triomphant.
– Bordel, faire ça après la Tour de la Terreur… Je vais vomir mon repas !
– Sérieux ?
– Vas-y, m’en parle pas, on marche sinon je vais gerber.
Arthur les mena à l’extérieur. L’air si froid leur fit du bien et eut l’avantage de leur remettre les idées en place.
– Vous avez entendu comme moi ? demanda-t-elle aux deux garçons.
– Affirmatif !
Ils n’avaient plus qu’à suivre les conseils de Dory, le fameux poisson-chirurgien amnésique.

Le froid glacial avait calmé les visiteurs qui s’étaient rués voir les différents spectacles proposés dans le deuxième parc. Ainsi, l’attraction consacrée au célèbre poisson-clown affichait un temps d’attente exceptionnellement court : moins d’une heure. C’était plutôt le double en règle générale.
– Les gars, à ce rythme-là, je vais vraiment rendre mes boyaux … se lamentait Rob.
Comme pour confirmer ses dires, elle rota.
– Pour celle-ci, je suis certain que nous n’irons pas jusque-là. Regardez.
Arthur avait sorti son plan et montrait un point rouge.
– Une seule caméra n’a pas fonctionné, en déduit Mars.
– Oui. Juste dans la salle d’embarquement.
– Tu ne penses toujours pas que cela puisse être un employé ? demanda Rob.
– Si… j’y pense, bien sûr… Mais alors il ne doit pas être seul.
– Sérieux, Arthur, c’est vraiment pas tes anciens collègues qui te roulent dans la farine ?
– Je ne vois vraiment pas l’intérêt, ni pourquoi tout ce mal qu’ils se seraient donnés si c’était le cas. Ça ne tient pas debout, je ne suis pas parmi les employés les plus importants. J’aurais soixante ans et partirais en retraite après des années de bons et loyaux services, à la limite je considérerais cette hypothèse, mais là… non… Maggie Halliwell a des milliers de choses à gérer bien plus importante en plus.
– Peut-être qu’elle n’est pas au courant… Bon, proposition débile, je sais… Un escape game géant ?
– Ce n’est pas du travail d’amateur. Le système est réellement réputé infaillible. Je vous rappelle que nous sommes dans le lieu le plus visité de France… Les enjeux sont colossaux. D’autant plus en pleine période de fêtes.
Mars et Rob le regardait, l’air grave.
– Mais… cette chasse au trésor dans Disneyland… c’est si décalé par rapport à la menace à laquelle vous semblez croire toi et la PDG.
– Le ou les individus jouent avec nous. Nous allons bien finir par avoir des clés. Si l’on en croit la feuille de route, nous en sommes à la moitié.
– Bien, on te suit, Arthur. Ce que veut dire Rob, c’est qu’on se croirait dans une autre dimension.
– Ce noël n’est pas comme les autres.
– Bon, reprit Mars. S’il y a quelque chose dans la salle d’embarquement, ça veut dire que le type est intervenu quand il n’y a personne, logique ?
– Oui, il est venu dans la nuit. Le manège a été fermé un jour pour maintenance mais ce n’était pas au moment du disfonctionnement de la caméra. De toute façon, je sais qu’en ce moment Madame Halliwell compile des informations sur les employés du parc qualifiés sur le système de protection et de surveillance.
– Bon, alors dépêchons-nous de continuer ! dit Rob en prenant la tête de la marche.
– Robine, pas besoin de faire la queue, dit Arthur. Venez.
Dans la guérite en bois, une Cast Member parlait à des visiteurs. Ils cherchaient le chemin d’accès pour les personnes à mobilité réduite.
– Juste là, on va vous indiquer la porte, dit-elle.
– Je vais vous montrer, coupa Arthur.
– Salut, toi, salua l’employée. Oui, merci.
Puis s’adressant à nouveau aux deux visiteurs, elle déclara :
– Vous pouvez suivre cet homme.
Le couple suivit Arthur et ses deux amis. Ils contournèrent une corde et se trouvèrent en face de l’attraction. C’était le seul endroit où les rails étaient visibles à l’extérieur. Une carapace de tortue fila avec à son bord quatre lycéens qui riaient.
– Bonjour Arthur.
Un autre cast member qui gérait cet accès privilégié lui serra la main.
– Tu vas bien, Sacha ? Ces deux personnes ont rendez-vous pour l’attraction, expliqua-t-il en désignant le mari et la femme juste derrière lui.
Le jeune homme prit connaissance de leur carte d’accès facilité.
– Parfait.
Il nota quelque chose dessus et la rendit à son propriétaire.
– Suivez-moi.
Ils longèrent le bâtiment et Sacha ouvrit une porte.
– Au bout, à droite.
Le couple le remercia et s’engouffra dans le couloir.
– Puisque tu es là, tu veux en profiter ?
– Non, merci Sacha, répondit Arthur, mais je veux bien saluer les copains vite fait et je repars.
Le jeune homme eut un moment d’hésitation.
– Oui… O.K.
– Je reviens très vite, dit-il à l’adresse de Mars et Rob.
Arthur ouvrit la porte et courut dans l’allée. Il tourna dans un coude et se retrouva dans la file où seuls les deux membres du couple attendaient pour embarquer. Les quatre Cast Members présents lui étaient inconnus. Ce qui l’arrangeait bien, pendant qu’il faisait croire à son attente dans la file, il pouvait regarder la salle.
Cela ressemblait à l’embarcadère d’un port de pêche en Australie. Sur le toit d’un cabanon, deux mouettes criaient par intermittence : à moi, à moi, à moi !, rappel comique du film. Les lumières chaudes étaient tamisées, mais Arthur parvenait à voir suffisamment.
Les nombreux visiteurs qui avaient emprunté la voie d’accès normale se tenaient en face. La cadence d’embarquement dans les carapaces de tortue était assez rapide. Le couple devant Arthur fut placé. Il fallait qu’il se dépêche.
Alors il se concentra sur chaque détail, ses yeux couraient d’un endroit à l’autre. Pourtant, le jeune homme ne trouva rien. Absolument rien.

– Si tu n’as rien trouvé, ce n’est pas grave. On va voir ailleurs.
– Rob a raison, déclara Mars. Le type veut que la solution soit trouvée, sinon pourquoi se donner toute cette peine ?
– Sauf que si je n’ai pas saisi l’indice…
– On va en trouver d’autres ! Si ça coince, on reviendra.
– On reste dans le périmètre, dans ce cas. Le domaine de Ratatouille, puis Toy’s Story Playland®.
Les trois amis reposèrent leurs pieds glacés au sol et marchèrent d’un pas décidé vers leur prochaine destination, sous le clin d’œil d’un polochon peinturé sur la façade.
Ils débouchèrent sur la place de Rémi. Cette reconstitution architecturale de Paris était magnifique. La devanture en boiserie du bistrot se trouvait en face, l’entrée de l’attraction sur leur droite. La file d’attente s’étirait dehors jusqu’à la fontaine au centre qui lançait ses jets d’eau partant de bouteilles de champagne.
– On s’intéresse à la boutique, dit Arthur après avoir consulté le plan.
– Super, on va se mettre au chaud, j’ai la goutte au nez en plus ! dit Rob.
Ce n’était pas encore l’heure où les visiteurs se ruaient dans les magasins des parcs. Ils attendaient plutôt la fin de la parade et à ce moment-là les échoppes étaient bondées. Les visiteurs étaient principalement dans les attractions ou dans les restaurants. Mars fut le premier à entrer « Chez Marianne ».
L’endroit était aussi soigné que l’écrin dans lequel la boutique se trouvait. Elle était de style Art déco. Les articles étaient exposés sur des étagères de bois finement sculptées. La pâtisserie française était à l’honneur dans ce décor luxueux. Ainsi dans certaines vitrines et sur les présentoirs se trouvaient des gourmandises en guise de décorations.
– Bien, c’est parti, dit Mars en commençant son tour.
– Honnêtement, s’il y a quelque chose ici, tu ne penses pas qu’un des employés l’aurait remarqué ? demanda Rob.
– Qui sait, les choses les plus grosses passent mieux inaperçues parfois.
– Bien… alors je vais du côté des bonbons.
La jeune femme se dirigea vers le mur de friandises acidulées aux milles couleurs. Arthur s’intéressa aux présentoirs en bois où mugs, tasses et autres vaisselles reposaient sous les éclats du lustre incroyable.
Mars, le plus grand des trois, vérifiait les étagères les plus hautes aux quatre murs de la boutique. Il faisait semblant de s’intéresser aux articles pour les manipuler et voir si rien ne se cachait derrière. Pour l’instant, aucun des trois ne paraissaient suspects mais ils savaient qu’ils ne pourraient pas jouer les clients très longtemps.
Robine en avait terminé avec les bonbons. Elle s’était retenue pour ne pas en prendre et avait rejoint Mars.
– J’espère qu’Arthur va trouver quelque chose.
Le jeune homme sursauta, il ne l’avait pas vu s’approcher. La présence de son amie si près de lui en l’absence d’Arthur ou d’une autre personne le fit rougir. Il s’empressa de lui poser une question pour qu’elle ne remarque rien, tout en continuant sa fouille :
– Tu as des idées sur ce que nous allons trouver à la fin ?
– Allons-nous y arriver ? C’est la seule question que je me pose pour l’instant. Oh, tiens et ça ?
Robine attrapa un vêtement. Elle avait touché la main de Mars au même moment, ce qui lui fit faire tomber une casquette. Il se pencha pour la ramasser et rencontra le regard clair et pénétrant de la jeune femme.
– Ne sois pas si tendu, Mars.
– Moi… moi, ça va, dit-il.
Qu’il détestait ces moments où il se sentait gauche avec la gente féminine.
– T’as trouvé quoi ?
– Oh, rien, un stylo. Un client a dû l’oublier.
Effectivement, un pot de stylos identiques se trouvait à proximité.
– C’était la dernière étagère…
– Arthur ! héla Rob alors qu’ils revenaient vers lui.
– Aidez-moi à vérifier les gâteaux, chuchota-t-il.
Ils détaillèrent chacune des cloches de verre qui conservaient des cupcakes et autres pâtisseries aux couleurs pastel. Elles étaient toutes fausses mais l’illusion était parfaite, de la pâte au glaçage brillant rose, mauve ou bleu.
– Oh, c’est mignon.
– Qui est mignon, Rob ?
– Ce petit cupcake vert.
Trois yeux en pâte d’amande avaient été ajoutés sur le dessus. Perdus parmi d’autres, c’était compliqué de s’en rendre compte au premier coup d’œil.
– Le voilà notre indice ! dit Mars.
Mais ni Rob, ni Arthur ne semblaient avoir compris.

– Vous voyez bien que ça ne colle pas avec l’ambiance, poursuivit Mars.
Arthur voyait bien qu’il y avait un décalage avec la décoration raffinée de « Chez Marianne ».
– C’est sûr mais que doit-on en déduire ?
Mars comprit qu’il n’avait pas saisi la référence et commença :
– C’est un clin d’œil aux extraterrestres…
– De Toy Story ! piailla Rob en le coupant.
C’était si évident maintenant. Le cupcake représentait leur tête.
– Mais bien sûr ! Parfait, nous avions prévu d’y aller, c’est juste à côté, dit Arthur.
Ils enroulèrent leur écharpe et chaussèrent leurs gants.
– Je connais la route ! dit la jeune femme en ouvrant la marche une fois la sortie de la boutique franchie.
Arthur et Mars marchèrent dans ses pas. Ils prenaient garde de ne pas glisser sur la neige qui tombait, malgré le sel qu’un employé venait de verser sur les pavés de cette place parisienne. Robine salua l’enseigne de Rémi de loin et s’engouffra sous l’arche bleue qui faisait le lien avec Toy Story Playland®.
Dans ce nouvel univers, les visiteurs étaient réduits à la taille des jouets et déambulait dans ce qui pouvait ressembler à la salle de jeu d’un enfant. Les lampadaires et les lumières représentaient, comme dans les films, une guirlande lumineuse, les clôtures étaient faites de pièces de jeu proche des Mécanos et les trois attractions s’articulaient sur trois éléments emblématiques des films.
A leur droite, la voiture téléguidée verte immense filait sur des rails en demi-cercle, pour le plus grand plaisir des visiteurs à la recherche de sensations fortes. A leur gauche, un manège destiné aux jeunes enfants représentait le chien ZigZag et plus loin, une tour faisait fondre vers le sol des nacelles à l’effigie des soldats parachutistes.
Pendant que Robine cherchait les extraterrestres mordus du fameux « Grappiiiin », Mars se confia à Arthur :
– Tu vois, je te l’avais dit, elle est trop bien pour moi.
– Mais qu’est-ce que tu racontes, tu t’entends ? Je suis sûr qu’elle te kiffe.
– Pfff… On peut pas dire que cette journée va m’aider de toute façon…
– Au contraire, tu l’as impressionnée tout à l’heure. Et quand elle en profite pour te toucher.
– N’importe quoi ! répliqua Mars.
Arthur commença à se lancer dans une imitation ridicule de Robine :
– Oh fais-voir la photo de Cendrillon, oh, je colle ma joue sur toi, oups, Marcel t’es trop chou…
– Wow, les gars, je suis toute seule à chercher ou quoi ? rugit Robine de loin.
Heureusement, elle n’avait pas entendu.
– Non, non. On cherche aussi, répondit Mars
– Quand tout ça sera fini, invite-la pour boire un verre ! chuchota Arthur.
– On n’est pas encore tiré d’affaires…
Ils avancèrent dans l’allée, un Buzz l’éclair géant se dressait à l’autre sortie, ou l’autre entrée selon le point de vue. Cette portion était relativement courte.
– Les boulets, on va encore galérer, je le sens… marmonna Rob.
– Une seconde, dit Arthur en reprenant la feuille de route.
– Une idée sur l’endroit où l’indice pourrait se trouver ? demanda Mars.
– Les caméras ont fonctionné correctement dans cette zone.
– Okay… Alors, ça veut dire quoi ?
– Il faut retourner dans l’autre parc ? Faire Buzz l’Eclair ? suggéra Rob.
– Sûrement ! s’exclama Arthur en s’agitant.
Il tourna les feuilles qui se froissèrent pour regarder le plan de l’attraction.
– Un coup de pistolet laser, ça te dit, Mars ? demanda la jeune femme en lui faisant un clin d’œil.
Mais l’ex-agent de sécurité coupa :
– Aucun disfonctionnement non plus là-bas…
– Merde… Alors on repart, à l’aveugle ? Commence à me taper sur le système tout ça…
– Oui, on continue la vérification des sites touchés par l’anomalie.
– J’espère que le coco prend son pied, marmonna Rob. Marre d’être ses pantins ! Tiens, les jouets ici c’est nous, c’est sûr !
Le trio avait repris la marche mais Mars s’était arrêté.
– Oh, dis-moi que tu as une nouvelle illumination ! dit la jeune femme.
– Merci Rob ! « Les jouets ». Ça ne vous fait penser à rien d’autre ?
– Accouche ! dit-elle en plissant ses yeux en amande.
– Il veut nous faire réfléchir un peu plus sur ce coup-là. « Les jouets », et donc aussi, les poupées ! It’s a Small World !
– C’est tiré par les cheveux. Mais tu as raison d’élargir notre réflexion…
– De toute façon, y’a rien d’autre ici. J’espère que l’indice que j’ai manqué à Nemo n’était pas trop important.
– On retourne dans l’autre parc, les gars ! Nous serons fixés.

– Si on voulait esquiver cette attraction, c’est mort. Je vais avoir la musique dans la tête pendant des jours ! annonça Mars.
– Mais c’est tellement beau ! Par contre, le gars est barje car trouver un indice dans cette mer de poupées…
Ils étaient partis depuis presque vingt minutes des Studios. La foule ne désemplissait pas et des employés installaient les cordes sur le parcours de la parade prévue à 16h. Le froid ne décourageait pas certains visiteurs à attendre déjà pour s’assurer d’avoir la meilleure place. Alors Arthur, Robine et Martial durent être patients le temps de traverser à nouveau Main Street, puis tourner sur la droite, vers le théâtre du château, longer Discovery Land® pour enfin voir apparaître le décor enfantin et coloré d’une des attractions phares de Fantasy Land®.
La queue serpentait devant le décor des maisons multicolores jusqu’à la fontaine en forme de globe sur lequel le navire des enfants du monde entier était posé. Les bavardages stridents des familles regroupées n’empêchaient pas d’entendre le son de l’horloge. La lune et le soleil se balançaient au rythme des secondes.
– Dis-moi que nous n’allons pas faire la queue encore… dit Rob.
– Tu peux faire voir la carte ? demanda Mars.
Arthur déplia ses feuilles.
– Les copains, désolé mais toutes les caméras principales ont été neutralisées ici.
– Mince. Il aurait dissimulé plusieurs indices ?
– C’est possible. Ou alors même s’il n’y en a qu’un à l’intérieur, il a eu besoin de matériel et ne pouvait que passer par là…
Ils s’engagèrent pour rejoindre la file d’attente.
– Quarante minutes d’attente. Avec le monde qu’il y a ? C’est pas une erreur ?
– Ils font partir les bateaux pleins. Il y a beaucoup de places et un départ toutes les 3-4 minutes sans interruption. Et on peut remercier les visiteurs en pause déjeuner, ceux qui attendent déjà pour la parade et les frileux écumant les magasins.
– Bien.
Le ciel était redevenu bleu. Mais une nouvelle couverture nuageuse menaçait et elle semblait chargée de neige.
Pendant les minutes dans la file, les trois amis restaient silencieux et aux aguets. Pourtant la fatigue s’affaissait sur leur corps. La jeune femme fut la troisième à bailler.
– Oh j’suis morte, déclara-t-elle en se frottant vigoureusement les yeux.
– Faut dire qu’on n’arrête pas depuis ce matin. On avance vite.
– Heureusement que tu es là, tu captes vite, le félicita Arthur.
– C’est toi le maître des lieux. Hagrid je vais t’appeler.
– On forme une bonne équipe les copains, dit Rob en les attrapant de chaque côté.
La jeune femme se cala entre eux et s’en servit comme des béquilles alors qu’elle baillait encore.
– Rob, c’est pas le moment de faire la sieste.
– Mais c’est la digestion.
Les visiteurs ne restaient pas longtemps immobiles, la file d’attente avançait régulièrement. Arthur et Mars avançaient sans broncher, Rob toujours accrochée à leur bras.
– Comme les singes, on s’en débarrasse jamais dit Arthur à son pote.
La jeune femme fit mine de ne pas avoir entendu. Enfin, leur tour arriva bientôt. Ils s’installèrent dans le bateau sur rails, dans la dernière rangée. Là, ça sentait réellement la piscine, bien plus que chez les pirates.
– Sortez vos téléphones, demanda Arthur. On va filmer le circuit. Je filme à gauche, Rob au milieu et toi à droite.
– T’as raison, dit Rob en déverrouillant son Iphone. Là c’est sûr, nous ne pourrons pas trouver l’indice du premier coup.
– A ce point ? demanda Mars qui n’avait jamais fait It’s A Small World®.
– Tu vas voir.
A ce moment-là, l’embarcation entra dans l’attraction. Une agréable chaleur s’empara d’eux. Et la musique commença.
« Car le monde est tout petit… »
– Ça commence.
– Vous filmez, hein ?
– Mais oui, Arthur.
Plusieurs tableaux représentaient les différents pays avec plusieurs poupées habillées dans les vêtements propres à chacun d’eux. Le Tower Bridge rouge s’élevait devant eux dans la première salle. Ils passèrent sous le pont, les mini danseuses de French cancan sur la Tour Eiffel étaient aussi roses que des barbes-à-papa. Les décors de l’Espagne et de l’Autriche se succédaient rapidement qu’ils passaient déjà sous le pont Rialto de Venise.
– Effectivement, ça va beaucoup trop vite, constata Mars.
Les magnifiques monuments russes et grecs aux couleurs chatoyantes n’eurent pas plus le temps d’être contemplés par le trio. La Chine et le Japon attendaient leur venue de pied ferme. Mais à peine Arthur zooma sur les geishas que le Pérou et l’Inde s’invitaient à la fête. Un sphinx d’Egypte leur souriait, posté à l’entrée de la savane africaine où les animaux bigarrés se mêlaient aux hommes. A cet endroit, la salle était plus grande et le bateau prenait un virage qui permettait d’avoir plus de temps pour bien tout regarder. Mars ne se laissa pas distraire par les vahinés aux chevelures d’ébène et continua d’enregistrer la scène.
Un autre virage amena l’Amérique du Sud, les poupées étaient moins nombreuses mais les décors tout aussi grandioses. Le Far West marqua la remontée vers le Nord. Derrière les sapins et un champ de tournesols, la statue de la Liberté et le Golden Gate de San Francisco apparurent et un couple de danseurs tournoyait sur la colline d’Hollywood.
Enfin, ils pénétrèrent dans la dernière salle. Rob avait les yeux écarquillés. C’était là que tous les pays étaient réunis. On retrouvait les poupées de chaque pays vues juste avant dans un décor de fête foraine blanche et dorée. Des lumières mauves éclairaient les décors en arrière-plan. Les figurines portaient des habits blancs qui brillaient.
L’attraction arrivait à son terme. Ils débarquèrent et chacun resta sur son smartphone pour rejouer la vidéo qu’ils venaient de filmer.
– Coupe le son, s’il te plaît.
Tous les trois restaient fixés sur leur écran.
– On échange ? demanda Arthur.
Ils échangèrent leur téléphone pour voir la promenade sous un angle différent. Robine fit soudain pause :
– Oh, yes, j’ai les gars, j’ai !
Elle montra une poupée blonde avec un nœud noir dans les cheveux. Elle se regardait dans un miroir d’argent, son tablier blanc ne dissimulait qu’une partie de sa robe bleue.
– On est bien d’accord qu’aucune des poupées n’est censée représenter un des personnages Disney ? demanda-t-elle à Arthur.
– On est d’accord, répondit-il. Bravo Rob !