En 1992, parmi toutes les merveilles que je découvrais au fil de mes premières visites du parc, je suis tombé sous le charme d'un endroit qui peut paraître sans intérêt pour la plupart des visiteurs, en dehors de ceux qui viennent y échanger des pin's : le Pueblo Trading Post. Je n'avais encore jamais vu une construction de ce genre, cubique aux angles arrondis, aux couleurs chaleureuses et avec d'étranges motifs autour des portes. Une musique tout aussi étrange rendait l'ambiance plutôt mystique et je ne parvenais pas à comprendre ce qui était représenté là ; car pour moi, ignorant tout de la culture amérindienne, je pensais que les amérindiens ne vivait que dans des tipis. Cet endroit était un mystère. J'apprenais par la suite dans les différents guides et livres souvenirs dédiés au parc qu'il s'agissait d'une boutique d'inspiration amérindienne des nations Pueblo du Nouveau-Mexique, et Hopi et Navajo d'Arizona. Voilà qui m'intéressais beaucoup et j'y ai acheté un petit brûle encens qui y ressemblait, et que je possède toujours :
Il se vend encore sur ce site : https://www.inscents.com/
Il y avait aussi à la vente quelques objets de la boutique parisienne Harpo spécialisée en bijoux et objets amérindiens (https://www.harpo-paris.com/fr/), dont quelques bijoux sont restés en vente au Thunder Mesa Mercantile Building, jusqu'à ce que le contrat soit rompu en 2022. Ma passion pour la culture amérindienne du sud-ouest des Etats-Unis était née.
Grâce à Internet quelques années plus tard, je découvrais un monde fascinant et apprenais enfin qui était ces indiens Hopi et Navajo, ainsi que les Zuñi et les Anasazi (dont les Hopi et les Zuñi sont les descendants). J'apprenais que Pueblo était un nom global désignant plusieurs tribus : les Hopi, dont les nombreux clans sont répartis sur 12 villages installés sur 3 mesas, côté Arizona, et 19 tribus avec chacune son village, côté Nouveau-Mexique : Acoma, Cochiti, Isleta, Jemez, Laguna, Nambe, Ohkay Owingeh, Picuris, Pojoaque, Sandiz, San Felipe, San Ildefonso, Santa Anna, Santa Clara, Santo Domingo, Taos, Tesuque, Zia et Zuñi. J'étais surtout fasciné par les Hopi, artisans et paysans considérés comme les plus pacifiques de toutes les tribus, alors que les Navajo ont toujours été extrêmement agressifs envers les Hopi. Petit à petit, je découvrais l'histoire de chaque tribu, leur maitrise dans l'art de la poterie, de la bijouterie avec la technique de la marqueterie, des fétiches et surtout de leur religion Katsina et des fameuses figurines en bois sculpté, les katsintithu (communément appelées à tort poupées kachinas).
Les katsintithu sont des statuettes représentant les danseurs Katsinam incarnant les esprits de la religion Hopi appelée Katsina ; les danses cérémonielles ont lieu de janvier à juillet, et sont surtout axées autour de la pluie afin d'espérer avoir de bonnes récoltes de maïs et de courges, et ainsi permettre la survie de la tribu. Le nom kachina doll est donné à tort par les non-Amérindiens, peut-être parce qu'il est plus facile à mémoriser. Chaque aspect de la religion Katsina porte un nom spécifique. Il y a d'abord les esprits Katsina qui sont les messagers entre les dieux et les humains, et sont la partie spirituelle de tout ce qui existe dans le monde visible, animé et non animé. Il y a ensuite les danseurs Katsinam (Katsina au singulier) qui représentent les esprits durant les cérémonies grâce à des masques sacrés spécifiques. Les Kivas sont les salles cérémonielles circulaire semi-enterrées où se réunissent ces danseurs avant de danser en public. Et enfin, il y a les statuettes tithu ou katsintithu (katsintihu au singulier), sans majuscule. Voilà pour l'explication des noms. Depuis le milieu du 18ème siècle, et même bien avant mais sous une forme plus rudimentaire, les katsintithu sont sculptés dans du bois de racine de peuplier, et sont créés par les Hopi et les Zuñi, qui partagent la même religion, afin d'instruire les enfants et les femmes sur les quelques 300 esprits représentés dans leur religion ; car bien qu'il s'agisse d'une société matriarcale où les femmes possèdent tous les biens, seuls les hommes ont accès aux rituels religieux dans les Kivas. Constatant le fort intérêt des Américains pour ces statuettes, que les Hopi ont d'abord refusés de vendre malgré la pression, les Navajo se sont approprié la fabrication des katsintithu vers le milieu du 20ème siècle, dans un but uniquement lucratif et ont commencé à en faire des copies librement réinterprétées, qui sont aujourd'hui prisées par les touristes souhaitant avoir un souvenir à petit prix ; bien que certaines soient jolies et ressemblent un peu aux katsintithu originales, elles ont beaucoup moins de valeur car fabriquées à la chaine, moins détaillées et dépourvue de symboles religieux. Elles sont juste décoratives et elles sont d'ailleurs nommées kachinas dolls pour marquer la différence avec les katsintithu Hopi et Zuñi. Ce site explique très bien les différences :
Moab Museum - Katsina
Livre sur l'art Hopi, et les katsintithu :
Parmi tous les livres sur les katsintithu, celui-ci reste une référence bien qu'il date des années 70. Notez le titre Hopi Kachinas, et non katsintithu, puisqu'il s'adresse essentiellement à un public de collectionneurs non-amérindien :
Ci-dessous, quelques exemples de katsintithu Hopi ; d'un point de vue artistique, même si les créations Navajo font parfois leur effet, les Hopi les surpassent largement en style et en finitions. Les 4 premières photos montrent des tithu récentes au style assez réaliste. Les 2 dernières photos sont des tithu que je possède, Palhik' Mana et Hemis, et datent des années 70 ; elles sont de style plus traditionnel :
Les statuettes exposées à l'hôtel Disney Santa Fe étaient des kachinas dolls Navajo. Il y en avait presque 200, réparties dans 4 meubles présentoirs (3 à la réception principale, 1 à la réception pour les groupes) et ont hélas été enlevées en 2020. Le thème de l'hôtel était à l'origine le même que le Pueblo Trading Post, avant la dérive de plus en plus marquée vers Cars depuis 2012, et dont la propagation continuelle au détriment du thème d'origine reste selon moi discutable.
Ci-dessus, une photo de la réception que j'ai prise en 2018 ; 2 ans plus tard, le vide est fait :
J'étais loin d'imaginer qu'elles allaient être remplacées par un simple poster de Cars en 2021... Les collectionneurs se sont rués dessus lorsqu'une soixantaine d'entre elles ont été mises en vente à The Disney Gallery, le second weekend de décembre 2022. J'ai pu en acheter 2 de justesse, en souvenir de ce qu'était le Santa Fe. Il aurait d'ailleurs été judicieux d'en vendre aussi quelques unes au Pueblo, lui rendant ainsi temporairement sa fonction première, voir même en placer quelques unes dans les niches qui avaient été spécialement faites pour exposer des katsintithu à la construction du Pueblo. Mais personne n'y a pensé.
La seule kachina doll restante dans tout le resort, au restaurant La Cantina. Il s'agit d'une Sun Face kachina, l'un des esprits les plus importants du monde Hopi. Les couleurs et les symboles modifiés du visage, la fourrure sur ses épaules et les vêtements en cuir indiquent qu'elle a été créé par un artiste Navajo.
Chaque nation a son style particulier en bijouterie. Ci-dessous, le style Hopi avec la technique de l'overlay :
Quelques exemples de bijoux Zuñi en argent, turquoise, onyx, corail et nacre. Des bijoux comme ceux-ci étaient vendus au Pueblo en 1992 et par la suite au Thunder Mesa Mercantile.
Les fétiches sculptés par les Zuñi sont essentiellement des animaux, considérés comme plus divins que les humains. Chacun d'eux représente l'esprit de l'animal, ses qualités, et protège celui qui les portent. La couleur des pierres semi-précieuses choisies ont leur importance. Ainsi, l'ours bleu est considéré comme étant le plus important, avec le puma jaune, l'aigle multicolore, le loup blanc, le blaireau rouge et la taupe noire, car ils représentent les 6 directions du monde Zuñi (les 4 point cardinaux plus le Zénith et le Nadir). La symbolique sera différente s'ils sont sculptés dans une pierre de couleur différente. D'autres animaux sont aussi représentés de cette façon comme le bison, le coyote, la libellule, la tarentule, etc. Il y en a eu quelques-uns en vente au Pueblo en 1992.
https://www.harpo-paris.com/fr/34-fetiches
La poterie fait aussi partie des arts où les Pueblo excellent. Chaque tribu a un style qui lui est propre et facilement reconnaissable. Exemples de poteries Hopi :
Exemples de poteries du village Acoma, situé sur une Mesa (plateau rocheux).
https://www.acomaskycity.org/page/home
La musique diffusée autour et dans la boutique est composées de morceaux de flûte dont certains sont joués par R. Carlos Nakai, célèbre flûtiste Navajo-Ute. Il y a aussi des extraits du CD Enchanted Canyons du Native Flute Ensemble, qui a été composée en essayant d'imaginer ce que pouvait être la musique Anasazi (il n'existe aucune trace de ce que pouvait être leur musique avec exactitude).
Son architecture en pisé de style adobe m'a particulièrement intéressé, caractéristique de nombreux villages Pueblo dont Taos est le plus célèbre. Ce dernier est d'ailleurs toujours occupé et entretenu par chaque génération depuis 800 ans, et il est classé par les Nations Unis depuis 1992 comme un site historique mondial : https://taospueblo.com/
Au fur et à mesure de ce que j'ai appris sur l'architecture en adobe, et des différences entre les tribus indiennes, il m'est clairement apparu que ce style ne concernait que les dix-neuf villages Pueblo du Nouveau-Mexique, ainsi que les villages Hopi en Arizona. Cela explique pourquoi la boutique a été nommée Pueblo Trading Post et pas Native, ou Indian, ou Navajo Trading Post. Les Navajo sont au final seulement représentés au travers de peintures murales extérieures du Pueblo ; un peu comme si un artiste Navajo était venu décorer les murs extérieurs d'un pueblo. L'habitat traditionnel Navajo, appelé hogan, était différent, beaucoup plus rudimentaire :
Lors de leur installation en Arizona au 16ème siècle, les Navajo étaient des maraudeurs et des pillards, avec un mode de vie nomade, tandis que les Hopi, sédentaires et vivant de l'agriculture et de l'artisanat, était considéré comme les plus pacifiques de toutes les tribus. L'histoire de ces deux tribus est devenue plus étroitement liée lorsqu'en 1868, le gouvernement américain a maladroitement autorisé que les survivants Navajo de la "longue marche" s'installent sur une partie de leur ancien territoire, cernant le territoire Hopi, avec toute la violence que cela a pu engendrer. Aux yeux des américains, un Indien équivalait à un autre et les tensions préexistantes entre les deux peuples n'ont pas été prises en compte. A Disneyland Paris, on peut penser que les imaginieurs se sont inspirés de Hopi House en Arizona (voir post en page 3), en donnant une vision utopique des deux tribus voisines, longtemps ennemies, qui finiraient par faire la paix.
Walt souhaitait que Disneyland soit aussi un lieu d'inspiration, ce fut mission accomplie me concernant avec cette étrange petite boutique perdue au fond de Frontierland
Très vite hélas, de moins en moins d'articles en rapport avec son thème y furent mis en vente, comme pour toutes les autres boutiques du resort, ce qui réduisait le côté immersif. Courant 1993, le Pueblo proposait de moins en moins d'artisanat amérindien, et on y trouvait des articles western, tex-mex, pour finir par ne vendre que du Winnie l'ourson ! Bonjour la cohérence... La sortie de Pocahontas en 1995 fut cependant de bonne augure pour la boutique qui redevînt indienne en 1996. Puis, elle commença a être fermée de plus en plus souvent, jusqu'à être totalement vidée et fermée. Une rumeur circulait alors que toute la zone allait être rasée afin de construire Splash Mountain...
Comme j'avais l'habitude d'y faire un petit tour à chacune de mes visites du parc, j'espérais une réouverture, en vain. Cela était vraiment dommage de voir ce coin du parc que j'affectionnais tant sans vie et en voie de délabrement. Jusqu'à Pâques 2004 où enfin il y eu réouverture temporaire, après rénovation, sous la forme d'un...atelier chocolat
:
Il fallut cependant encore attendre de longs mois et l'installation du Pin Trading pour que le Pueblo soit enfin ouvert de façon régulière. Les figurines vinylmation ont envahi la boutique vers 2010, pour quelques années, avant de laisser la place au seul Pin Trading. D'authentiques poteries et quelques cactus ont alors été ajoutés à la déco. Le Pueblo était sauvé, grâce aux pin's
Aujourd'hui cependant, il n'est pas en très bon état à l'extérieur. Au premier coup d'oeil, tout semble ok, mais en y regardant de plus près, on peut voir que les poutres s'émiettent et tombent, la mousse à tendance à devenir envahissante (comme pour Big Thunder Mountain), les deux luminaires en forme de courges ont disparus, ainsi que l'enseigne qu'ils éclairaient, les manzanitas ont poussés un peu partout, masquant les cactus et les yuccas (à l'origine, la zone était inspirée du désert d'Arizona.). J'ose espérer qu'un jour, une rénovation respectant la thématisation du lieu sera faite.
Ci-dessous quelques unes de mes photos, prises entre 2004 et aujourd'hui. Je n'avais hélas pris aucune photo du Pueblo avant 2004, année où je fis l'acquisition d'un appareil photo numérique :
Eté 2004. Notez à droite de la photo la butte avec le cactus, envahie aujourd'hui de buissons.
Eté 2004. Les 2 photos au-dessus montrent les luminaires en forme de courges, disparus depuis quelques années. Détails qui avaient leur importance puisqu'avec le maïs, les courges font parties de l'alimentation de base des Pueblo.
Le serpent jaune représenté ici est un motif Navajo, Klish-do-nuti'i (le serpent infini). Il illustre la métamorphose dans le mouvement de la naissance, de la vie et de la mort dans la mesure où il change de peau. La couleur jaune symbolise le crépuscule et l'ouest.
La tortue représentée ici est le symbole de la terre-mère. Patience, persévérance, longévité, elle souligne aussi la nécessité de garder les pieds sur terre.
Les 2 photos ci-dessus montrent l'un des symboles les plus importants dans la tribu Zuñi, le Rainbow Dancer (la tête d'un côté, les jambes de l'autre, avec un arc en ciel au milieu et qui comporte un liseré noir et blanc typiquement Zuñi) représenté ici au-dessus de chaque porte d'entrée. Il symbolise l'arc en ciel après la pluie, très importante pour la culture du maïs et la survie de la tribu. Il existe aussi chez les Navajo, mais il est généralement représenté carré, comme c'est le cas ici puisqu'il encadre une porte. De plus, le visage est typiquement Navajo car il est représenté rond (carré pour les femmes), contrairement aux autres tribus. Il semble donc qu'il y ai eu pour le Pueblo un mélange des 2 styles de Raibow Dancer.
Avec son bec crochu évoquant un aigle, ce motif là me fait beaucoup penser au Rain Bird. Ce qui serait logique puisqu'il est placé sous le Rainbow Dancer. Et pour aller beaucoup plus loin, n'y aurait-y-il pas là un lien avec le Thunder Bird de Big Thunder Mountain ? L'enquête est ouverte
Chacun des six luminaires autour du Pueblo ont un design inspiré de styles graphique que l'on peut voir sur certaines poteries des dix-neuf pueblos existant au Nouveau-Mexique.
Luminaire typique de ce qui se fait au Nouveau-Mexique.
Le Mickey avec son sombrero serait mieux au Fuente Del Oro, il fait beaucoup plus méxicain qu'amérindien
Caché derrière le Mickey, une authentique poterie du village Acoma, reconnaissable à sa couleur blanche et ses motifs.
Une poterie Hopi. Le petit trou sur le dessus indique qu'il s'agit d'un pot à graines.