ATTENTION PROSÉLYTISME!
Cependant, si on occulte la foi catholique de Tolkien, on risque de passer à côté de la vraie profondeur de l’œuvre. Mais il faut se garder des contresens. Son œuvre n’est pas une allégorie de la foi chrétienne, comme il l’explique lui-même : « Le Seigneur des Anneaux est bien entendu une œuvre fondamentalement religieuse et catholique ; de manière inconsciente dans un premier temps, puis de manière consciente lorsque je l’ai travaillée. C’est pour cette raison que je n’ai pratiquement pas ajouté, ou que j’ai supprimé, les références à ce qui s’approcherait d’une “religion”, à des cultes et à des coutumes, dans ce monde imaginaire. Car l’élément religieux est absorbé dans l’histoire et dans le symbolisme ».
Comme le remarque Irène Fernandez, philosophe et spécialiste de littérature anglo-saxonne et de féerie (3), la vision catholique de Tolkien s’exprime d’abord par des éléments non spécifiquement catholiques : une forte affirmation morale, une distinction très nette entre le bien et le mal, la liberté de choix qui implique la responsabilité personnelle. La Terre du Milieu est certes un monde imaginaire, mais elle ressemble à notre Terre et ses habitants déclinent toutes les facettes de l’âme humaine, des plus sombres aux meilleures. Les protagonistes ne sont jamais tout noirs ou tout blancs, et leur vie, comme la nôtre, est une lutte contre le mal jamais totalement gagnée. Ceux qui nous ressemblent le plus sont les Hobbits, des êtres ordinaires et casaniers, n’aimant que le confort et la bonne chère, de parfaits antihéros, mais qui se révèlent quand tout semble perdu. Et qui n’agissent pas seulement pour eux, mais pour le bien commun. Le Hobbit, déjà, mais bien plus encore Le Seigneur des Anneaux, soulignent le tragique de la condition humaine.
La vision catholique de Tolkien s’exprime aussi plus explicitement. Il y a une création, une chute et une rédemption de la Terre du Milieu. Une espérance transparaît dans l’attitude des héros face au découragement. On trouve aussi une négation du hasard et le sens d’une Providence cachée. Pour Tolkien, les contes ne finissent jamais, mais à un moment survient l’« eucatastrophe », mot inventé par lui qui signifie « fin heureuse », soit un tournant heureux de l’histoire. Mais elle n’est pas définitive. Car pour lui, l’eucatastrophe par excellence, c’est la Résurrection.