On m'a invité à laisser une critique du film, alors je le fais avec plaisir
NomadlandFern, veuve de 60 balais, se voit obligé de vendre sa maison et d'investir ce qu'il lui reste d'économies dans un fourgon, en effet l'usine sur laquelle s'est construite sa ville a fermé et la ville en est morte au point qu'on lui a rasé son code postale (non d'une vache bi-cornue, les américains ils font pas semblants).
Elle décide de parcourir les états unis, de job précaire en job précaire, toujours sur la route, toujours vivante, telle une nomade, sans attache.
Alors moi, pour me faire aller en salle, il m'en faut vraiment peu. Si tu mets Frances McDormand sur l'affiche, t'es assuré de me faire lever mon cul de devant mon ordi.
Encore une fois je ne savais rien du pitch. Juste cette très belle affiche de Frances en chemise de nuit dans une vallée. J'étais partant.
Le film me touche beaucoup et m'a ému fortement.
Il y a une étiquette qui peut coller au film, mais j'encourage les gens à ne pas trop y tenir : l'étiquette film à oscars.
Ça a été bien mis en avant, et aussi sur ce sujet, et c'est normal après tout, le film repart avec le tiercé gagnant (meilleur film, réalisatrice et actrice) et vu que la cérémonie est extrêmement politique, on serait vite tenté de dire que le film est trop bienveillant envers une catégorie rejetée de la société américaine qui doit être mis en lumière et défendu. Les Blacks, les Gay, les handicapés... insérer « groupe social parfaitement normal » de vôtre choix dans la case.
Alors, oui, le film fait ça mais ce serait dommage de n'y voir qu'un regard un peu condescendant.
Parce que c'est quoi le sujet ?
Le sujet c'est les nomades. Un groupe de gens « hors système » qui ne répondent plus aux minimums sociaux de la société actuelle, qui ne rentrent pas dans les cases donc le rang et qu'on voudrait bien taxer de « poids » pour la communauté.
Sauf que, ces gens là, ne sont pas des rebelles, ce sont plus des gens qui ont fait tout comme il semblait falloir, mais qui se sont retrouvé malgré tout en marge.
Et ils l'acceptent !
En effet on suit donc le personnage de Fern qui vagabonde au fil des saisons et des états dans son fourgon aménagé en camp de réfugié à la mac Giver.
Elle a perdu son mari, son travail, sa maison, sa ville, sa communauté. Elle est Seule. Donc elle décide d'être indépendante et de ne plus, à ce point dépendre d'une société qui la rejette.
Elle rencontre au début du film, la « communauté » des nomades, qui lui présente leur philosophie de vie. Vis délesté des biens trop matériels, apprends à survivre avec le minimum, nous serons toujours là si tu as besoin d'aide. On pratique donc le troc, le partage de savoir, la cuisine, les astuces.
Ce qui me plait le plus, ce mode de vie n'est pas revendiqué comme idyllique, on comprends vite que les boulots sont difficile et détruisent les corps et la santé des gens, le confort inexistant, mais c'est pas grave. Le salut de cette communauté se trouve ailleurs. Ils ont fait ce choix pour d'autres raisons et acceptent les nombreux désavantages, car le reste apporte une forme de paix. D'ailleurs quand par 2 fois, le personnage de Fern est invité à rejoindre la vie « normale », le rang, par deux personnages aux très bonnes intentions (sa petite sœur d’abords, puis un amoureux éconduit par la suite) elle réfléchit à la proposition et la décline. Car elle est à sa place, elle à trouver son chemin et elle n'en a pas honte.
Il y a des discours très forts et très émouvants tout au long du film sans jamais être trop appuyés.
Les nomades sont en colère contre le système social de leur pays (le témoignage de Linda May par exemple est d'une injustice folle, elle travaille depuis ses 13 ans et arrivée à la retraite on ne lui offre que moins de 500 dollars par mois pour vivre, donc naturellement elle se retrouve à Amazon pour emballer des collis à 75 ans) mais ils n'expriment pas non plus de haine. Ils ont décidés qu'ils prendraient une autre route et que ils choisiraient des gens de confiance pour continuer à vivre et partager.
C'est l’Amérique des pauvres, et des asociaux, souvent vieux mais on y croise aussi la jeunesse. Mais je trouve que le film évite de les montrer comme de simples archétypes. Par exemple lors d'un « barbecue » ils écoutent de la musique classique, alors qu'on s'attendrait dans un film plus superficiel, à les voir n'écouter que de la bonne vielle country fleurant bon l'alcool de pomme de terre maison. Non, ce ne sont pas que des rednecks bas du front.
Du coup le film peut avoir un petit coté voyeur, car les gens qui vont voir le film et le couvrir de récompenses ne sont pas ceux dépeint dans le métrage mais les gens riches, intellectuels et bien rendus. Est-on face à une vampirisation du réel ? Je ne pense pas car la réalisatrice, son regard, son travail, sa dévotion évite l'écueil.
Quelque chose qui pourrait rebuter. On ne s’intéresse qu'au personnage principale, les seconds n'étant jamais vraiment développés. Mais je trouve que ça va aussi dans le sens du film, ce sont des rencontres de passage, certains on les reverra, d'autres jamais. Et c'est pas grave. Fern apprends quand même de chacun, de par leur témoignage, même si on a pas un backdrop de chaque sur comment a été sa vie ou comment il se retrouve nomade.
Que sait-on de Swankie ?
- Elle a un cancer qui ne peut se guérir.
- ET ???
- Et elle va mourir bientôt de son cancer.
- Ah ben c'est original pour une tumeur au cerveau inopérable.
Et c'est a peu prêt tout, il n'y a pas de suspens ou attachement, le temps pour le personnage de raconter ce qu'elle a compris de la vie et de dire qu'elle veut retourner dans son canada natal pour y mourir tranquille en regardant les mouettes voler sur la côte.
- Du coup vas-y sers toi dans mon bordel, tu veux un miroir ? J'ai envie de mourir légère.
Mais que c'est beau.
Idem pour Bob, il raconte le suicide de son adulte de fils et de comment il a mis des années à retrouver le goût/sens de la vie. Les nomades et leur humanité va lui apporter une réponse.
Tous ces moments sont touchants sans verser dans la sur-explication mielleuse.
J'ai perdu mon fils, j'avais envie de crever, et puis finalement, un jour, je n'en avait plus envie.
C'est simple, c'est puissant.
C'est un très beau point de la réalisation de Chloé Zhao, elle fait confiance à son public et ne se sent pas obliger de surligner chaque chose (bon si des fois avec un petit peu de musique triste qu'on avait pas invité, des fois qu'on est oublier de pleurer sur le sors des perso haha, mais ça va c'est pas systématiques).
Par exemple le premier boulot dans lequel on voit travailler Fern, c'est chez Amazon. Et bien le portrait de la société est tout à fait dénué de commentaire. Elle y travaille bien, les conditions sont décentes, les collègues se serrent les coudes. Pas besoin de nous montrer que c'est un boulot aliénant et mal payé, dans une globale qui considère ses employés comme de vulgaires robots de maintenance. Nous, public, on le sait depuis des années avec les reportages, articles et autres qui racontent comment fonctionne Amazon dans le monde.
c'est pas l'objectif du film de nous « enseigner » une morale.
Le film n'est pas dénué d'humour. Car les personnages rivalisent de second degré pour embellir le quotidien car pas le choix, sinon on se tire une balle.
- Alors bienvenue à ce petit cour de « comment bien choisir son saut à caca pour les nuits gelées où on refuse de sortir chier dans le bas côté ».
Ou la scène ultra attendrissante de Fern qui offre un « spa » à son amie Linda may, pour s'occuper d'elle et lui apporter un peu de douceur.
Puisqu'on parle de caca, je rebondis sur la performance de Frances.
(mes transitions sont fines n'est-il pas?)
Le parti pris de Chloé Zhao, est proche de l'enquête journalistique, elle a vécu auprès des nomades pendant des années avant de filmer. Elle recherche un équilibre entre le pur documentaire et la fiction. Ainsi, les nomades sont pour la majorité de vrais nomades rencontrés lors du casting, qui n'ont pas de dialogues à apprendre, pas de marque au sol et pas de raccord maquillage. Zhao, balançant Frances au milieu et sa caméra flottante chope par ci par là les interactions.
Cette approche « réaliste » se retrouve dans le travail de Frances. Oui elle est filmé entrain de faire pipi dehors, elle a appris elle même à changer une roue, bricoler son camion accessoire pour se l'approprié telle une vraie nomade et (ayant donné son accord à la réalisatrice) quand malade un jour de tournage, une énorme chiasse se pointe à l'improviste dans son pantalon, elle baisse le futale devant la caméra et laisse exploser ses intestins dans le dit saut à caca, devant une équipe qui sors les pinces à linges pour se boucher le nez.
On peut reprocher la « performance = rien ne m'arrête je montrerai tout » mais quand même, quel courage dans cette industrie hollywoodienne de se mettre autant à nue et en danger. Car ce type de jeu peut vite devenir malaisant car trop voyeuriste. Mais la sensibilité de Zhao permet de contrebalancer la chose.
En termes d'image, je vois pas comment rester insensible devant la beauté des décors et lumières naturelles (peut être rehausser par un étalonnage numérique) et c'est souvent filmé à « l'heure magique », celle du couché du soleil, où même une décharge à ciel ouvert se part de dorure et de beauté. Facilité ? Oui peut être, et alors ??? Admire le paysage jeune fou.
C'est magnifique.
Les focales et profondeur de champs étant souvent plates quand des personnages sont présents en plus de Fern, tout se déploie dès qu'elle est en communion avec son environnement. Ce qui donne des scènes contemplatives qui ennuieront certains, mais moi perso je suis comme Fern, je dédale dans des désert de rochers à m'extasier béatement sur des cailloux colorés pendants des heures. Une peau brulée par le soleil plus tard j'ai encore le sourire au lèvres, donc cet aspect du film me rebute pas.
Pour résumé, c'est un très très beau film et j'encourage les membres ayant Disney + à le regarder. Il faut aussi soutenir ce cinéma là.
Balthazar P.
P.S. = L'image de Frances nue dans une rivière me hantera de longs mois encore. Pour ceux et celles qui en doute, oui, un corps nue de femme de 64 ans... c'est sublime p*tain !