Chapitre 20 : Derrière le masque
-Qu’il déguerpisse ! lança Norway avec satisfaction.
Il se tourna vers ses hommes déployés derrière-lui.
-Laissez-le filer, les gars.
-Comment ? se révolta Raiponce. Mais il faut l’empêcher de tuer la reine !
-Avec cette tempête, je doute qu’il puisse l’approcher, raisonna Norway. Même s’il y parvenait, la Reine Elsa l’anéantirait.
-Hans est plus retors et plus malin que vous ne le croyez, répliqua Raiponce. Il n’affrontera pas la reine à la loyale.
-Je suis d’accord, l’approuva Eugène. Ce n’est pas tout, Anna est également en danger. Alors que j’observais la tempête à travers le trou laissé par Elsa, je l’ai vue errer sur le fjord gelé.
Anna était donc bien vivante. Mais les blessures involontairement infligées par sa sœur ainsi que Hans la mettaient toujours en grave danger.
Son cœur a été gelé par la magie de sa sœur alors qu’elle était partie la retrouver dans son palais de glace. Nous devons absolument la retrouver avant qu’il ne soit trop tard. -Raison de plus pour y aller en force. Qui sait ce qui pourrait se passer là-bas, pendant que nous restons-là à ne rien faire ! La reine s’est enfuie, Hans la pourchasse dans le but de la tuer, et il ne reste à Anna plus que quelques minutes à vivre. Qu’attendons-nous pour agir ?
-Un ordre légitime, sans doute, intervint une voix monocorde.
La princesse se retourna ; le Premier Ministre était apparu derrière le trône.
-Où étiez-vous donc ? le vilipenda Raiponce. La situation est grave, au cas où vous ne le sauriez-pas !
-J’en suis parfaitement informé, répondit doucement l’homme. Pendant que le Prince Hans et vous vous chamailliez, je m’occupais de la sûreté des invités de ce château, qui sont tous sains et saufs. Cependant, la situation actuelle les inquiète quelque peu, je dois l’avouer, et cela va sans dire qu’une partie de vos hommes, Norway, seraient d’une grande utilité à leurs côtés. Affectez-les tous à cette tâche, hormis vous-même, mon neveu, et deux autres de vos hommes.
-A vos ordres, monsieur le Premier Ministre, obtempéra Norway.
Le capitaine envoya une quinzaine de ses hommes accomplir la tâche ordonnée par le Premier Ministre. Les gardes congédiés s’éclipsèrent.
-Ce n’est pas le moment de faire de la garderie avec la noblesse ! s’insurgea Raiponce. Vous auriez dû envoyer ces hommes arrêter Hans, et sauver Anna tant qu’il en est encore temps.
-La Princesse Anna est morte, soupira Magnus. Vous ne vous rappelez pas ?
-Au contraire, affirma Eugène en tâchant de parler clairement malgré sa douleur. Je le répète, la Princesse Anna est en vie, quelque part sur les eaux glacées du fjord. Le Prince Hans a menti.
-Oh ? fit le Premier Ministre. Eh bien, cela ne change pas grand-chose. Finland, mon cher neveu, tu iras avec tes deux collègues à l’intérieur des remparts de la tour du donjon. Tous les trois, vous observerez l’évolution des événements et nous rapporterez ensuite ce qu’il se sera produit.
-A vos ordres, mon oncle, s’inclina Finland.
-Nous venons avec vous, messieurs, intervint le dignitaire espagnol. En tant que représentants des autres nations, il est de notre devoir d’assister à ce dénouement.
-Cela n’est guère prudent ! s’inquiéta Weselton. Le froid nous congèlera sur place !
-Si l’hiver persiste, vous ne serez bientôt plus à l’abri nulle part de toute façon, le contredit le Premier Ministre. Je ne vois pas d’objection à ce que vous accompagniez mes hommes. Vous avec ma permission.
-Merci, Votre Excellence, approuva le Français.
Les dignitaires, Weselton compris, ainsi que les gardes quittèrent à leur tour la salle du trône. Eugène, Raiponce, Norway et le Premier Ministre étaient seuls, hormis Maximus. Eugène, affaibli par sa blessure, semblait pâle et fébrile. Il chancela un instant et son épouse le retint par les épaules.
-Il a besoin de soins, affirma-t-elle.
-Ne t’en fais pas, murmura faiblement Eugène. Ce n’est rien.
-Je suis d’accord avec la Princesse Raiponce, objecta Magnus. Vous êtes pâle à faire peur. Justement, je vois Gerda arriver. Madame, veuillez emmener le prince Eugène un peu plus loin et vous occuper de cette vilaine blessure. Suturez et désinfectez sa plaie, après l’avoir endormi bien entendu.
La servante était entrée dans la salle du trône durant le bref échange. Elle fit la révérence avant de prendre Eugène par le bras. Le jeune homme renâclait, mais Raiponce le poussa gentiment vers Gerda et lui sourit d’un air qu’elle voulut encourageant. Une fois que son époux ait été éloigné et assis dans l’attente de soins, la jeune femme reporta son attention sur le Premier Ministre.
-Que comptez-vous faire pour Anna et Elsa ? s’impatienta Raiponce.
Le flegme, presque la nonchalance, du Premier Ministre courait sur les nerfs de la princesse. Magnus sourit mystérieusement.
-Ne vous en faites pas, Votre Altesse. Vous comprendrez bientôt.
-Comprendre quoi ? s’inquiéta-t-elle en fronçant les sourcils.
-Norway, fit Magnus en ignorant la question de la princesse, veuillez apporter la caisse dont nous avons parlé.
-Bien sûr, monsieur le Premier Ministre, consentit le capitaine.
Il sortit du grand salon en empruntant l’une des portes situées sur le mur derrière le trône. Mais alors que Raiponce songeait qu’elle devrait partir rechercher Anna et Elsa seule s’il le fallait, elle remarqua qu’il se produisait un phénomène étrange. Le hululement de la tempête à l’extérieur s’était estompé, et l’atmosphère glaciale s’était comme… figée, comme dans l’attente de quelque chose, ou peut-être endeuillée. Les pics de glace avaient arrêté leur croissance inquiétante, et tout était devenu silence.
-On dirait que la reine est en train de se calmer, supposa le Premier Ministre. Bien.
J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Les choses sont en dehors de mon contrôle, désormais. Raiponce et Magnus étaient juste devant le trône, l’un face à l’autre. Le regard qu’ils partageaient mettait la jeune femme mal à l’aise ; elle ne se sentait pas en sécurité. Raiponce se rappela ce qu’il avait fait suite à la nuit où elle avait libéré Eugène : Magnus avait jeté l’évêque dans un cachot, apparemment en raison de divergences religieuses, ce qu’il avait ensuite nié en affirmant que ce n’était qu’une ruse visant à amadouer Hans. Mais la princesse en était grandement perturbée, sans qu’elle ne comprenne vraiment pourquoi.
-Pourquoi avez-vous emprisonné l’évêque, en vérité ? lâcha brusquement Raiponce.
Le Premier Ministre la regarda longuement. On pouvait voir qu’il ne s’attendait pas à cette question, surtout en cette heure si troublée.
-Il était une menace, affirma Magnus. Fervent soutien de la famille royale, et mauvais protestant avec ça. Je ne pouvais pas le laisser répandre son influence et risquer de tout compromettre. Tout allié de la Reine Elsa devait être éliminé.
-Je-je ne comprends pas, balbutia la princesse. Je croyais que vous vouliez protéger Elsa.
-Oh, chère enfant, fit Magnus d’un ton ironique et condescendant. Vous êtes si naïve.
A cet instant où les pensées de Raiponce se bousculaient dans sa tête, des éclats de voix lui parvinrent.
-Ces armes m’appartiennent ! Vous n’avez pas le droit de les utiliser sans ma permission !
C’est Bonaparte. Norway est allé chercher ses armes à feu. Ce furent en effet le capitaine, suivi du prince impérial, qui entrèrent dans la salle du trône. Norway transportait une large caisse ouverte en métal, qu’il déposa aux pieds de Magnus malgré les protestations de Louis-Napoléon. A l’intérieur se trouvait une dizaine de longs fusils et de pistolets à silex.
-Monsieur le Premier Ministre, s’écria Bonaparte, j’exige une explication. J’ai apporté ces armes à feu avec moi et elles sont ma propriété. Pourtant, elles m’ont été confisquées par le Duc de Weselton la nuit dernière. Et alors que je m’apprêtais à les récupérer, voilà que votre capitaine des gardes s’en empare contre mon gré !
-Votre Altesse impériale, répondit respectueusement Magnus, je vous prie de rester calme. Soyez assuré que vos armes vous seront très bientôt restituées.
-Et à quelle fin désirez-vous les utiliser ? le pressa Raiponce.
-Nous verrons cela plus tard, répondit évasivement le Premier Ministre. En attendant-
Il s’arrêta. Tous avaient senti le changement qui se produisait tout autour d’eux : le temps se réchauffait sensiblement.
Serait-ce possible ? Raiponce avait cru se faire des idées. Mais il était impossible de nier que la température augmentait, encore et encore. Les stalactites et stalagmites se résorbaient et se désintégraient en un élégant tourbillon de flocons. La glace se désagrégeait de la même façon, et s’élevait dans les airs en des milliers de particules. Ces dernières, comme poussées par un vent doté de conscience, volèrent vers la sortie du château dans un flux discontinu. C’était une force irrésistible, qui rouvrit brutalement la porte d’entrée pour se propulser à l’extérieur du château. D’autres nuages en provenance des autres parties du château passaient également par la salle du trône, et toute trace de gel finit par disparaître, comme si rien n’avait jamais perturbé la période estivale. L’hiver venait de prendre fin.
-Je ne peux pas y croire ! se réjouit Raiponce en bondissant de joie. Tout est redevenu normal, nous allons enfin pouvoir rentrer chez nous !
Mais une pensée horrible, tragiquement réaliste, lui vint en tête pour l’arrêter net dans sa joie.
Elsa est peut-être morte. Le sourire de la princesse disparut aussi vite que la glace de la salle du trône, tandis que l’affreux doute se frayait un chemin dans son esprit.
-Apparemment, le Prince Hans a mis un terme à l’hiver, dit tranquillement Magnus. Fabuleux. Il ne nous reste plus qu’à emprisonner cet imbécile et l’exécuter pour haute trahison.
Le comportement de Magnus était de plus en plus étrange. Le Premier Ministre avait été si amical, si serviable avec Raiponce. La jeune femme n’avait aucunement soupçonné cette part de sa personnalité.
-Comment pouvez-vous vous montrer aussi froid ? s’indigna Raiponce. C’était votre reine, dont vous avez servi le père pendant des dizaines d’années, et vous…
Elle s’arrêta, refusant de croire au trépas de sa cousine.
-Non, reprit-elle. Elsa est toujours en vie. Vous vous réjouissez peut-être, mais je suis sûre que vous vous trompez.
-Dans ce cas, répliqua insidieusement le Premier Ministre, comment expliquez-vous le retour de l’été ? Alors que le Prince Hans était parti à la poursuite de la reine pour la tuer ? Drôle de coïncidence, n’est-ce pas ?
Le cœur de Raiponce était ébranlé, et la princesse n’avait en effet aucune autre hypothèse à proposer. Elle baissait les yeux, dévastée, quand des pas précipités lui firent relever la tête et se retourner vers l’entrée de la salle du trône. Finland était revenu, et affichait un air des plus joyeux.
-Eh bien, mon cher neveu, s’exclama Magnus. Quelles nouvelles apportes-tu ?
Essoufflé, le jeune homme arrêta sa course devant les trois personnes présentes.
-La Reine Elsa a ramené l’été ! révéla Finland en riant. Nous sommes sauvés !
Elsa est en vie ? Raiponce ne se sentit plus de joie, comprenant que Hans avait échoué dans son plan machiavélique. Cependant, la survie de son autre cousine n’était pas encore garantie.
-Mais qu’est devenue Anna ? demanda vivement la princesse. A-t-elle survécu ?
Avant que Finland ne puisse répondre, son oncle l’interrompit, l’air passablement ennuyé.
-Attends une seconde, Finland. Raconte-nous tout, depuis le début.
-C’était incroyable ! s’écria le jeune garde. Nous étions au sommet du donjon, comme vous nous l’avez ordonné, alors que la tempête faisait rage. Il nous était impossible de repérer qui que ce soit, mais le temps s’est soudainement calmé. Un nuage de fumée a balayé tout le fjord et mis fin à la tempête, et tout s’est éclairé. La Reine Elsa s’était effondrée, elle pleurait, je crois. Le Prince Hans était juste derrière-elle, l’épée à la main, et s’apprêtait à l’exécuter !
-Mais ne se défendait-elle pas ? s’étonna Raiponce.
-Il y a fort à parier que Hans a prétendu que la Princesse Anna était morte à cause de la magie de sa sœur, déduisit Magnus. La reine a du se sentir responsable et accepter son sort, mettant fin à la tempête.
-Quoi qu’il en soit, poursuivit Finland, rien ne semblait pouvoir sauver la reine. C’est alors que nous avons vu la Princesse Anna se précipiter entre Hans et la Reine Elsa, et s’interposer au moment où le prince portait le coup fatal !
-Comment ? s’écria la princesse. Hans a tué…
-Non, pas du tout ! la coupa Finland. A cet instant précis, la Princesse Anna s’est changée en statue de glace !
-Que signifient ces absurdités ? fit Magnus avec un mouvement d’humeur.
-C’est la vérité, mon oncle. Nous savions qu’elle avait été atteinte par la magie de sa sœur, et qu’elle était condamnée à se statufier si un acte d’amour sincère n’était pas accompli. Quand elle est intervenue, l’épée du Prince Hans s’est brisée à son contact, et le choc l’a assommé. Nous pensions tous que la Princesse Anna avait perdu la vie, mais elle a rapidement repris sa forme normale, à la surprise générale !
-Elle avait fait un acte d’amour sincère, comprit Raiponce, en se sacrifiant pour sauver sa sœur. Cela lui a certainement permis de dégeler.
-Les choses se sont rapidement conclues, termina Finland. La reine a mis fin à l’hiver et s’est réconciliée avec sa sœur, et la Princesse Anna a expédié l’usurpateur par-dessus bord. Je suppose qu’il flotte encore, inconscient.
Ainsi, tout était terminé. L’été était revenu, et les sœurs si longtemps séparées par le secret de la reine s’étaient retrouvées, plus unies que jamais. Le règne de l’usurpateur avait pris fin, et les royaumes de Corona et d’Arendelle étaient saufs. Grâce à Raiponce, Anna avait pu s’échapper de la bibliothèque où Hans l’avait enfermée, et Hans s’était retrouvé seul face à Elsa, ce qui l’avait obligé à tenter de la tuer lui-même et causé sa chute.
Je n’ai pas fait tout cela en vain. -C’est un dénouement assez… inattendu, convint Magnus. Mais rien que je ne puisse régler. Finland, Norway, munissez-vous des fusils du prince Bonaparte et de quelques munitions.
-Oui, monsieur le Premier Ministre, obtempéra Norway.
Il saisit l’un des fusils à silex et y versa de la poudre dans le canon et la culasse, ainsi qu’une balle de forme ronde. Finland fit de même sans discuter, mais une lueur d’hésitation apparaissait dans l’éclat de ses yeux, tandis que Louis-Napoléon regardait les deux hommes avec inquiétude. La cervelle de Raiponce turbinait à toute vitesse, comprenant que la prétendue amabilité de Magnus n’avait été qu’une façade, tout du long. Le Premier Ministre prit lui-même un pistolet, qu’il chargea également. Avant de le pointer sur Raiponce.
-C’est la fin de la partie, ma jolie, dit Magnus avec délectation.
Après une seconde d’une intense et bouleversante surprise, Bonaparte, Finland et Raiponce protestèrent simultanément.
-Est-ce que vous êtes devenu cinglé ?! s’écria la princesse.
-Mon oncle, je vous en prie…
-Vous ne pouvez tout de même pas assassiner cette jeune femme ! protesta Louis-Napoléon.
Seul Norway ne broncha pas, guère sensible à la probable mise à mort de la princesse. Mais les troubles de Finland semblèrent l’inquiéter, et il le fixa avec sévérité pour le faire taire.
-Va fermer à clef toutes les portes de la salle du trône au lieu de gémir, ordonna Norway.
Finland ouvrit la bouche, paraissant vouloir se révolter contre le crime odieux que son oncle préparait ; mais il garda le silence, et obéit sans discuter davantage.
-Je n’ai rien d’un fou, Princesse Raiponce, répliqua le Premier Ministre. Et si, monsieur Bonaparte, j’entends bien éliminer Son Altesse de Corona. Ensuite, nous attendrons le retour de la reine et de la princesse pour les abattre avec vos armes à feu. Elsa est peut-être assez vive pour arrêter un carreau d’arbalète ; mais certainement pas une balle tirée de dos. Elle n’aura pas la moindre chance. A présent, lancez votre épée hors de votre portée, je vous prie.
La princesse observa sa lame, incertaine de ce qu’elle devait faire. Elle savait que Magnus pouvait l’abattre au moindre geste suspect ; mais cette arme était sa dernière défense. N’ayant aucune alternative, elle se résigna cependant et jeta son épée qui tomba au sol avec un bruit métallique. Raiponce défia le Premier Ministre du regard.
-Le peuple et la garde ne pardonneront jamais ce crime ! affirma-t-elle.
-Oh ? fit ironiquement Magnus. Le croyez-vous ? Norway est le capitaine de la garde, et je suis le Premier Ministre d’Arendelle. Nous sommes craints et respectés par la population. Lorsque nous aurons éliminé la famille royale sous les seuls yeux de la garde –ce qui se produira avant que quiconque puisse réaliser ce qui se passe-, nos hommes se retrouveront face au fait établi. Ils n’accepteraient peut-être pas de commettre eux-mêmes les meurtres ; mais ils n’oseraient pas se révolter une fois ceux-ci commis. Quant au reste de la population, eh bien, elle n’assistera à rien, car j’entends éliminer la reine à l’intérieur même de cette salle. Elle soupçonnera peut-être quelque-chose, mais sera bien trop soulagée de la mort de cette sorcière pour protester.
-Mais les puissances étrangères ne resteront pas sans réagir, hésita Raiponce.
-Elles ne sauront rien de ce qui se produira, répondit le Premier Ministre. Tous les représentants sont absents de ce lieu, et je veillerai à ce qu’ils le soient quand je déciderai de tuer la reine. De toute façon, ils auront trop hâte de rentrer chez eux pour poser des questions. Quand à vous, vous passerez de vie à trépas avant que vous ne puissiez prévenir qui que ce soit. Et ne comptez pas sur votre époux pour vous sauver : il doit dormir profondément à l’heure qu’il est, et ne sera témoin de rien. Peut-être le tuerai-je tout de même pour faire bonne mesure.
-Même si aucun des témoins ne parle, s’entêta Raiponce, mes parents devineront la vérité, et il y aura la guerre. Un quadruple meurtre dans des familles royales ne peut passer inaperçu !
-D’autant plus que c’est avec mes armes que vous prévoyez de commettre ces crimes ! protesta Bonaparte. Jamais je ne vous laisserai accomplir une telle ignominie !
-Mais justement, répondit Magnus. Monsieur Bonaparte, votre concours est d’ailleurs essentiel, et est également la réponse au problème soulevé par la Princesse Raiponce.
Son concours ? Est-ce qu’il veut dire que… Soudain, la princesse comprit.
-Vous voulez lui faire porter le chapeau !
-Comment ? s’exclama Louis-Napoléon. Mais c’est grotesque, personne ne croirait une telle chose !
-Au contraire, réfuta le Premier Ministre. Votre Altesse impériale, votre mobile est très clair. Tout le monde sait que votre oncle Napoléon Ier s’est vu refusé l’aide de son allié, le roi de Corona et père de Raiponce, alors qu’il rentrait du désastre de Russie et avait désespéramment besoin de tout le soutien qu’il pouvait trouver. Vous êtes son neveu ; et voyant la fille de celui qui a trahi votre oncle, vous n’avez pu résister à l’idée de le venger en l’assassinant, ainsi que la Reine Elsa et sa sœur, dont le père a également abandonné Napoléon. Vous tenterez finalement de me tuer, puisque j’ai moi-même été l’une des causes de la chute de l’empereur en persuadant Bernadotte de se retourner contre lui. Je vous tuerai alors, ce qui règlera l’affaire et me donnera toute la légitimité dont j’ai besoin. De plus, je suis sûr que le roi Louis-Philippe ne sera pas mécontent de la mort d’un rival potentiel, ce qui m’assurera le soutien de la France.
Horrifié par le plan du Premier Ministre, Bonaparte écarquilla les yeux et balbutia :
-Monsieur, vous n’avez donc aucun…
-C’est assez, le coupa Magnus. Norway, assommez-le, je m’occuperai de son sort plus tard.
Le capitaine prit son fusil des deux mains et le leva devant sa tête, avant de frapper le prince impérial d’un sévère coup de crosse, au niveau du front. Bonaparte s’écroula comme une masse, endormi sur le coup. Si Raiponce n’avait pas été menacée par le pistolet du Premier Ministre, elle se serait immédiatement précipitée à son chevet. Au lieu de cela, elle darda sur Magnus un regard noir. Le Premier Ministre esquissa un sourire mauvais et ricana. Finland, revenu après avoir refermé tous les accès à la pièce, essaya de raisonner Magnus.
-Mon oncle, ce que vous nous demandez de faire est un crime, je ne suis pas sûr de pouvoir…
-Toi, le coupa Magnus, tu refuserais ? Pense à tout ce que j’ai fait pour toi, à ce poste que je t’ai confié. J’ai veillé sur toi depuis la mort de ton père, ne l’oublie pas ! Tu tueras la Princesse Anna, pendant que Norway se chargera de la reine. Est-ce bien clair ?
Finland luttait avec lui-même pour refuser, et se révolter contre son oncle ; mais il fut rattrapé par sa loyauté, et n’en eût pas le courage.
-Oui, mon oncle, murmura-t-il en baissant les yeux.
-Bien, fit le Premier Ministre.
Il se tourna vers la princesse.
-Ma pauvre Raiponce, dit-il d’une voix mielleuse. Dire que tout cela est de votre faute. Il vous aurait suffi d’envoyer votre lettre au roi d’Arendelle un jour plus tôt pour qu’elle nous parvienne à temps, et que le voyage et le naufrage fatidiques n’aient jamais eu lieu.
Cette attaque verbale frappa Raiponce en plein cœur. Elle ressentit sa culpabilité remonter à la surface de ses sentiments.
-Je n’y suis pour rien ! se défendit-elle. Cette lettre…
Elle s’arrêta, en proie à une soudaine et bouleversante révélation.
-Cette lettre… murmura-t-elle. Anna et Elsa m’avaient dit que vous ne l’aviez jamais reçue. Pourquoi me dites-vous qu’elle est arrivée trop tard ?
Le Premier Ministre se pinça les lèvres, et fronça les sourcils d’un air contrarié. Mais il ne répondit pas.
-Ma lettre était bien arrivée, n’est-ce pas ? continua Raiponce. Vous saviez parfaitement que la famille royale risquait sa vie. Et vous n’avez rien dit !
Magnus resta silencieux. A côté de lui, Finland balbutia :
-Mon oncle, ce n’est tout de même pas vrai ? Vous n’auriez pas laissé mon père mourir ?
Raiponce se souvint que le père de Finland, qui était le frère de Magnus, était à bord du navire durant ce voyage. Le Premier Ministre, visiblement indifférent à la douleur qu’il causait à son neveu et à l’atrocité de son crime, haussa les épaules avec fatalisme.
-Je n’avais pas le choix. Bravo, Raiponce, vous m’avez eu. J’ai en effet envoyé mon frère et la famille royale à la mort.
Sous le choc, Finland resta coït. Raiponce eut de la peine pour lui : comment pourrait-il assimiler que son oncle, qu’il respectait et aimait tant, était en fait le meurtrier de son père ? Elle vilipenda vertement Magnus.
-Vous avez tué votre propre frère ! s’insurgea-t-elle. Pourquoi avez-vous fait une telle chose ?
-Cela importe peu, affirma Magnus. De plus, je n’aurais pas le temps de raconter toute l’histoire. Disons qu’il était devenu une menace, et que j’ai profité de l’opportunité qui se présentait. Bref, j’avais également l’intention d’éliminer Elsa et Anna pour mettre fin à cette dynastie corrompue par le Mal. Mais quand Hans et vous êtes arrivés, j’ai compris que j’aurais du mal à parvenir à mes fins. Un instant m’a suffi pour deviner qu’Hans désirait le pouvoir, et que vous défendriez Anna et Elsa coûte que coûte. J’ai alors eu l’idée de vous monter contre lui, afin qu’il soit déstabilisé durant son règne et qu’il tombe plus facilement. C’est pour cela que je vous ai poussée à vous opposer à sa milice, que j’ai insinué que votre époux serait exécuté après son incarcération, et que Hans serait un danger tant qu’il serait en vie. De la même façon, j’ai insisté pour que Finland soit mis en faction à votre étage, pour qu’il vous laisse passer et vous permette de faire évader Eugène et de tuer Hans. Pour vous donner la motivation dont vous aviez besoin, j’ai alors empoisonné votre repas. Je savais que votre crapaud entamerait le plat en premier, et serait intoxiqué ; le coupable aurait été évident à vos yeux, vous poussant à agir au plus vite. Je pensais que vous ou Hans serait définitivement écarté par cette tentative d’assassinat, idéalement vous deux. Je ne m’attendais pas à ce que vous vous serviez de cet imbécile d’Heinrich. Cela ne s’est pas passé comme prévu, et Hans est même sorti renforcé de l’affaire : j’avais donc encore besoin de vous, et vous ai défendu lors du procès pour que vous poursuiviez vos tentatives. Quand vous avez stupidement suivi Hans pour sauver Elsa, j’ai laissé Weselton prendre le pouvoir. J’ai même poussé le peuple à la révolte, pour décrédibiliser ce vieillard et me faire passer pour un héros en arrêtant moi-même l’émeute par la diplomatie, ce qui m’aurait permis d’éliminer Weselton que je voyais également comme une menace. Malheureusement, vous m’avez doublé et avez récolté les lauriers de mes efforts, et j’ai choisi de ne pas intervenir, ce qui a d’ailleurs failli coûter la vie à Norway que j’avais placé sous les ordres de Weselton. Cependant, ce dernier a durant son règne pris possession d’une partie des biens des invités et du royaume ; et si votre époux en a récupéré une partie pour les restituer à ses propriétaires, il n’a pu reprendre les armes à feu de Louis-Napoléon Bonaparte. Je les ai moi-même récupérées pour mon propre usage. Et alors que j’apprenais avec surprise que Hans était parvenu à emprisonner la reine, j’ai décidé de le laisser mener son plan à son terme et de le tuer ensuite, en espérant que vous pourriez l’affaiblir suffisamment avant cela. J’ai donc envoyé Norway le servir, même si mon fidèle capitaine m’est toujours resté loyal. En attendant le dénouement, je me suis occupé des invités du château, et ne suis revenu qu’au moment où on m’a informé de la fuite de Hans. J’ai pensé qu’il utiliserait un plan retors pour tuer la reine, et je savais à ce moment-là qu’il avait prétendu que la Princesse Anna était morte par la faute de sa sœur. Même si je n’étais pas certain de la vérité, j’imaginais que la princesse n’avait de toute façon plus longtemps à vivre. J’ai donc déduit que Hans comptait faire croire à Elsa qu’elle avait tué sa sœur, afin de l’exécuter sans qu’elle ne se défende. Je dois dire que je m’attendais au succès de Hans, et avais déjà prévu de le tuer sitôt qu’il reviendrait. Grâce à vos actions, cela m’aurait été facile puisqu’il avait été publiquement discrédité. Cependant, l’intervention d’Anna a tout gâché. Heureusement, j’avais prévu cette éventualité. Bientôt, vous serez morte, et vos cousines avec vous.
-Vous êtes un monstre, Magnus, gronda Raiponce entre ses dents.
L’air courroucé, le Premier Ministre cria :
-La reine est le véritable monstre, pas moi ! Quand vous rôtirez toutes les deux en Enfer pour vos pêchés, vous le comprendrez peut-être enfin. D’ailleurs, le moment est venu pour vous de terminer votre histoire, ma jolie…
Il leva son arme et la pointa droit sur la tête de la princesse, qui inspira avec effroi. Mais Finland s’écria alors :
-Je ne vous laisserai pas faire ça, mon oncle !
Surpris, le Premier Ministre et Norway se tournèrent vers Finland. Raiponce vit que le garde avait armé son fusil, et visait son oncle au cœur.
-Allons, Finland, balbutia Magnus, réfléchis à ce que tu fais…
-VOUS AVEZ TUE MON PERE ! hurla le jeune homme.
Il allait tirer ; cela était évident pour tout le monde. Désirant protéger son suzerain, Norway se précipita sur lui. Mais Finland, par un réflexe aussi rapide qu’imprévisible, et retourna brusquement vers lui et tira. Il n’avait pas eu le temps de viser ; mais la balle atteignit la jambe du capitaine, qui rugit de douleur et lâcha son fusil. Cependant, il eut la force de bondir sur Finland et de le plaquer au sol, l’enserrant dans ses bras puissants. Le fusil du jeune homme tomba et glissa sur le parquet, vide de munitions, tandis que les deux hommes entamaient une lutte au corps à corps sans pitié. Profitant de cette distraction, Raiponce se jeta à son tour sur Magnus, lui saisissant le poignet qui tenait le pistolet. Le Premier Ministre reporta immédiatement son attention sur elle, et lutta pour diriger son arme sur son ennemie. Mais la princesse en faisait de même, et l’âge de l’homme lui avait ôté une partie de sa force d’antan, alors que Raiponce avait toute la vigueur d’une jeunesse invulnérable. Lentement, inexorablement, elle retourna le pistolet contre son propriétaire. Le Premier Ministre suait abondamment, et utilisait toutes ses forces pour empêcher l’inévitable… Mais ce ne fut pas suffisant. Dès que le pistolet fut pointé sur la poitrine de Magnus, Raiponce glissa son doigt sur la gâchette et pressa la détente, sans hésitation et sans regret. Le coup partit comme un éclair fulgurant, et retentit comme la colère du tonnerre. Raiponce lâcha prise, et une fumée s’échappa du canon du pistolet alors que Magnus poussait un cri et tombait en arrière, l’arme déchargée à la main. Le Premier Ministre, étendu sur le sol tandis que son propre sang se répandait autour de lui, émit un râle et ferma doucement les yeux. La jeune femme ne prit pas la peine de vérifier qu’il était bien mort, et rechercha immédiatement Norway et Finland du regard. Le capitaine se trouvait allongé au-dessus de Finland, mais il plaquait une main sur son front et hurlait de douleur.
La blessure au front que Sweden lui a infligé avec un caillou lors de l’émeute le lance encore. Finland saisit l’occasion de prendre l’avantage et d’éliminer son adversaire : non loin de lui reposait l’épée de Raiponce, et il tâtonna fébrilement le sol de ses doigts pour en attraper la poignée. Il la trouva rapidement, et la saisit avec fermeté avant de la soulever à bout de bras pour la ramener à lui et porter un coup rapide et puissant au cou du capitaine Norway. Le tranchant de la lame s’y ficha, et s’arrêta à la moitié de la base du coup, décapitant à demi le félon, avant que Finland épuisé ne laisse retomber son bras. Le regard de Norway se figea et sa bouche se tordit dans une grimace effrayante. Du sang fut versé de son cou et coula sur le visage de Finland, et le capitaine retomba lentement sur le côté. Mort.
Raiponce resta figée, encore éprouvée par ce qui venait de se produire. Finland demeura également immobile, essoufflé et couvert de sang. La princesse s’approcha de lui à pas lents, et lui tendit une main secourable. Le jeune homme la fixa, une émotion indescriptible et inconnue sur le visage. Il se releva avec l’aide de Raiponce, qui murmura :
-Je suis désolée pour ton père et ton oncle.
Finland resta un instant impassible et stoïque, mais il ne put résister très longtemps. Son visage se craquela sous le deuil et la peine, ses yeux se plissèrent. Puis, il pleura, et sa large poitrine fut secoué de sanglots. Peinée, Raiponce lui porta une main compatissante à l’épaule.
-Je pense que tu as besoin d’être seul un moment, glissa-t-elle. Je vais chercher la Reine Elsa et la Princesse Anna pendant que tu assimiles tout ce qui s’est passé. Peux-tu me donner la clef des portes ?
Finland hocha silencieusement la tête, continuant de pleurer. Il lui confia la clé, et croisa les bras, restant là, sans bouger.
-Je vais m’occuper de ramener Bonaparte avec les autres invités, articula-t-il avec difficulté. Quand le Prince Eugène sera réveillé, je veillerai à ce que tout le monde puisse sortir calmement.
-Merci, Finland, souffla la princesse.
Raiponce s’éloigna discrètement et se dirigea vers la sortie de la salle du trône. Elle aperçut le poignard de Gothel reposant sur le sol. Un geste réflexe la poussa presque à s’en saisir pour le ranger dans sa veste ; mais un courageux effort de volonté la retint au dernier moment.
Je suis prête à le laisser derrière-moi. Je ne suis pas elle, et je ne la laisserai plus tourmenter ma vie. Sans plus hésiter, Raiponce se dirigea d’un pas assuré vers les portes de la salle du trône, et les ouvrit, avant de partir sans un regard en arrière. Abandonner le poignard de sa « mère » était pour elle le dernier acte d’indépendance, la libérant finalement de son souvenir et de son influence. Elle s’était prouvée à elle-même en épargnant Hans qu’elle agissait par amour, non par intérêt personnel ou par désir de vengeance : Raiponce n’avait véritablement rien à voir avec Gothel.
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Et du premier ministre, déjà, par maint endroit,
Le front du renégat brisait le masque étroit.
(reprise d'Hugo, au cas où)
Plus qu'un chapitre, avant l'épilogue !