Bonne lecture !Vous souvenez-vous des deux vautours, fourbes et malfaisants, de Blanche-Neige et les Sept Nains ? Ils ne sont que deux personnages secondaires, voire tertiaires, parmi tant d’autres. Mais moi, je les aime (bien). Et comme ils n’apparaissent que très peu dans le film, j’ai décidé de leur inventer une histoire et de vous la raconter. Et en même temps, je raconterai celle de Blanche-Neige, de leur point de vue…***
Ils étaient craints de tous les animaux de la forêt, sans exception. Car les humains ne les voyaient pas. Et même s’ils le voulaient, ils ne sauraient les voir. La faune les craignait, car ils représentaient la mort à eux seuls. Et ils l’assumaient sans mal aucun. Après tout, lorsqu’on a une réputation de charognards, il faut bien savoir la tenir, non ?
Mais d’où leur venait donc cette attirance assumée pour la mort, dans son ensemble ? Les vautours, eux-mêmes, n’en savaient rien. Mais peu leur importait : ils jouaient le rôle du mal incarné, et pensaient d’ailleurs que cela leur allait à merveille.
Lorsque la mort arrivait, ils le savaient. Ils la sentaient. L’être mort, ils se régaleraient d’un repas juteux et saignant, qui les rassasieraient pour une heure ou deux. Puis, ils se remettraient à la recherche d’une nouvelle victime potentielle, et ce, inlassablement. Mais ils se lassaient vite de cette activité qui, il faut l’avouer, finissait pas devenir trop répétitive à leur goût.
C’était tout autre chose qu’ils préféraient. Qui rendait la chasse vraiment intéressante. De leur branche d’arbre, sur laquelle ils se posaient habituellement, ils observaient avec intérêt les passants, animaux ou humains. Si les premiers les repéraient aisément, sans s’en sortir vivants pour autant, les seconds, les "créatures à deux pattes", étaient aveugles. Le silence devenait alors leur allié le plus précieux. Ils suivaient ainsi, lentement mais sûrement, leur nouvelle proie vivante, jusqu’à ce que la mort fasse le reste. Leurs semblables, ailés ou non, avaient beau prévenir les hommes du danger qui les guettait, rien n’y faisait : la faucheuse les attendait, laissant ensuite les deux vautours faire le reste du travail.
Quoi qu’on fasse, le couple infâme serait toujours là, pour asservir son appétit le plus cruel. Quelle que soit la proie à ingérer.
***
Ces deux oiseaux de malheur étaient nés, avaient grandi et vivaient au Royaume de la Méchante Reine. Ils n’avaient pas connu l’époque où ce royaume avait été véritablement prospère. Celle où le Roi et la Reine étaient heureux et amoureux. Celle où, ensuite, ils formèrent une famille unie avec leur fille, la jeune et jolie Blanche-Neige.
Ils n’avaient également pas connu ce moment, terrible et affreux pour le peuple, où la mort de la Reine fut imminente. Ce moment où le Roi se remaria avec une nouvelle femme, qui n’inspirait guère la sympathie. Enfin, ce moment où le Roi fut mort mystérieusement, étrangement même. Et bien qu’ils soient nés au temps où la Méchante Reine imposait sa terreur au Royaume, ils ne l’avaient jamais aperçue, ou même vue. Elle restait toujours cloîtrée dans son château, devant son miroir, à contempler sans cesse sa beauté. Et à maudire Blanche-Neige, qu’elle avait été contrainte d’adopter. Mais qu’importent les raisons qui la poussaient à haïr sa belle-fille, le couple de charognards s’en souciait peu.
A vrai dire, dès cet instant, ils avaient commencé à vivre leur vie, telle qu’ils l’entendaient. Leurs parents leur avaient appris à se comporter ainsi : comme la mort que l’on sentait dangereusement, et doucereusement. Ils avaient grandi et été élevés dans le mal le plus pur, et s’en contentaient bien.
Ce qui révulsait les autres animaux les rendait justement uniques : ils dévoraient leur existence, sans se soucier de ce qu’ils incarnaient, et encore moins des conséquences des actes qu’ils commettaient. Pire : ils jouissaient du grand nombre de victimes qu’ils avaient faites, durant les années qui suivirent leur venue au monde. Mais le monde les avait créés ainsi et, de ce fait, ils assumaient parfaitement leur nature démoniaque.
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Lorsque la douce et belle Blanche-Neige s’était égarée dans la forêt, ils l’avaient entre-aperçue. Rien qu’un moment, seulement. Et ils avaient aussitôt détourné le regard, car non seulement elle n’était pas prédestinée à la mort, comme on aurait pu le croire, mais elle était surtout trop jeune pour mourir. Comme nous vous le disions, les vautours aimaient la chair bien vieille et usée, car généralement, elle était plus délicieuse au goût.
A ce moment-là, ils ignoraient qu’ils la croiseraient de nouveau sur leur route. Ils ne se souviendraient pas alors de l’avoir vue, mais comme sa mort serait sans doute proche, ils jouiraient d’avance du sort qui lui serait réservé. Mais le destin était plein de surprises, et la mort ne viendrait donc pas du côté qu’on le pensait, comme au départ !
***
C’était en fin d’après-midi. Le soleil commençait à rentrer au bercail, pour un repos bien mérité. Le couple de charognards regardait le temps passer, sur leur branche d’arbre mort. Ils s’étaient nourris à plusieurs reprises dans la journée : juste de quoi tenir le coup jusqu’à la nuit tombée. Ils attendaient tranquillement, lorsque soudain…
« Les petits hommes ne seront pas là !... »
Ils baissèrent la tête et remarquèrent aussitôt une vieille femme, vêtue de haillons, qui parlait toute seule. Puis, ils eurent le sourire au bec : voilà une nouvelle victime ! Cette vieille folle ne les avait même pas vus, trop plongée à méditer du malheur de quelqu’un d’autre, apparemment.
« Et elle sera toute seule avec une vieille marchande inoffensive !... »
Qu’il était si bon de la voir se réjouir du décès probable d’une tierce personne, alors qu’elle-même n’en était pas bien loin !
« Une vieille marchande de pommes ! »
Les charognards se sourirent mutuellement, en entendant ces derniers mots. Sans plus attendre, ils commencèrent à la suivre sans bruit, leurs ombres planant au-dessus d’elle.
Arrivés au logis des nains (là encore, ils ignoraient leur identité, mais peu leur importait), ils se perchèrent sur un arbre feuilli, afin d’assister à ce qui allait suivre.
A ce moment-là, on aurait pu croire qu’ils se réjouissaient de voir cette pauvre jeune écervelée être prise au piège, par une sorcière au mauvais dessein. Or, comme nous vous le disions au début, ils aimaient tout simplement voir des êtres être victimes, ou pas, de la grande et noble Faucheuse. Et même si la pauvre Blanche-Neige n’avait rien demandé, cela leur faisait un divertissement de plus à se mettre sous le bec.
« Oui ! Mais attend d’en goûter une, mon trésor… Ha ha ha ! »
Le doux et agréable son du mal ! Peu importe qu’il fût appelé par l’attirance de la princesse pour un fruit défendu, simple et pourtant mortel, les vautours se sourirent de nouveau, tout en délectant méchamment du malheur qui s’abattait sur cette dernière. Ces petits idiots de volatiles avaient tout vu, bien évidemment, et avaient tenté de prévenir la jeune fille, en s’attaquant à la vieille mendiante. Il était bon parfois d’être naturellement effrayant, car les autres animaux faisaient tout le travail à votre place.
Et voilà que la jeune écervelée vint au secours de son futur bourreau ! Vraiment, cela faisait longtemps qu’ils n’avaient assisté à un spectacle aussi divertissant !
***
Le temps passait et cela faisait un bon moment que les deux femelles humaines étaient entrées dans la chaumière des nains. Mais ça ne faisait rien, à vrai dire. Les autres animaux étaient partis, ils ne savaient où. Il suffisait d’attendre à présent. Attendre que la Mort accomplisse son rituel habituel, si horrible, mais si beau à voir. Ils sentirent quelques gouttes perler leurs crânes dégarnis, ce qui était très bon signe. Cela voulait dire que les choses allaient enfin s’accélérer…
Et le temps leur donna raison, car ils entendirent et virent des ombres au galop : les fameux petits hommes absents, que la vieille folle mentionnait tout à l’heure. Ils étaient ravis de ce retournement de situation, qui était pourtant, à leurs yeux, bien trop prévisible. La vieille folle, qui ricanait alors de sa mauvaise action, fut alertée par ces nains en furie, prêts à en découdre avec elle. A peine prit-elle la fuite que les deux charognards déployèrent leurs grandes ailes, pour les suivre à la trace…
La sorcière courrait comme elle pouvait. De bourreau, elle était passée à victime. Non pas la victime de ces oiseaux malfaisants, mais celle de ces hommes furieux, voulant venger leur douce et tendre. Elle avait désormais tout à perdre…
***
Les charognards se laissèrent lentement tomber sur les branches d’un autre vieil arbre, savourant le spectacle qui s’offrait à eux. La vieille folle était arrivée au sommet d’une falaise, la plus haute du Royaume de la Méchante Reine. Sa voix trahissait son désespoir :
« Oh ! Je suis perdue ! Qu’est-ce que je vais faire ? »
On aurait presque dit qu’elle sanglotait, ses plans ayant échoué, semblait-il. Mais ce désespoir laissa immédiatement place à la rage :
« Les p’tits idiots, pourquoi s’en sont-ils mêlés ? »
Elle était prête à leur faire payer sa fuite, apparemment. Mais qu’importe, les vautours étaient plus heureux que jamais. S’ils avaient pu lui parler, ils auraient alors prononcé les mots suivants :
« Oui ! Nourris-nous donc de ton désespoir ! »
Ces sentiments, qui animaient leur victime, les faisaient grandement saliver du bec.
C’est qu’elle voulait encore jouer avec la mort, cette inconsciente ! N’avait-elle donc pas compris que son heure était venue ? Elle aurait voulu faire de ce gros rocher son arme, pour que la Mort emporte, avec Blanche-Neige, ces insolents de nains. Mais ce fut finalement son salut, celui qui la réduirait en un vulgaire tas d’os et de chair. Car la Faucheuse avait enfin accompli sa noble et foudroyante œuvre, celle que les deux volatiles malfaisants attendaient avec impatience. Et tandis qu’elle poussait son dernier hurlement, ils lui jetèrent ce mauvais regard, qu’eux seuls avaient toujours eu. Ils avaient eu ce qu’ils voulaient, en fin de compte. Depuis le début, ils savaient que ça se terminerait ainsi. Et ils gagneraient encore sans cesse.
Ainsi, animés par l’avidité, ils descendirent lentement, mais sûrement, en bas de cette falaise redoutable, afin de déguster leur nouveau mets.
*** FIN ***
PS : Les images ne m'appartiennent pas. Elles sont juste là pour illustrer ma fan-fiction.