- Furylion a écrit:
- Un article du Monde (malheureusement payant) sur les problèmes de voisinage causés par les Airbnb : https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/25/fiestas-jacuzzis-call-girls-la-multiplication-des-airbnb-seme-la-zizanie-autour-de-disneyland_6151511_3234.html
Vu comme ça, ça ne donne pas envie d'habiter proche du parc...
Pour ceux qui n'ont pas lu tout l'article :
Chessy, Serris, Magny-le-Hongre… Ces villes nouvelles du Val d’Europe, dont le développement urbain a été en grande partie réalisé par Disney, ont vu leur nombre d’appartements « Airbnb » exploser ces dernières années. A Serris (8 000 habitants), le site spécialisé AirDNA recense pas moins de 400 annonces d’appartements ou de maisons à louer à la nuit – c’est deux fois plus qu’en janvier 2019. Les taux d’occupation avoisinent les 90 %. Au total, environ 8 % des logements de cette commune sont désormais des meublés touristiques – une proportion deux à trois fois plus importante qu’à Paris. « Et dans les immeubles les mieux situés, il y a parfois 20 % à 50 % d’appartements sur Airbnb », assure Philippe Descrouet, le président (Union des démocrates et indépendants, UDI) de l’agglomération du Val d’Europe, parti en guerre contre ces formes d’hébergement.
L’expansion de ces meublés s’est accompagnée de nuisances auxquelles ces villes nouvelles, si fonctionnelles, n’étaient pas habituées. Il faut dire que celles-ci ont justement été développées par Disney pour être en harmonie avec l’atmosphère féerique du parc : en vertu d’un accord signé il y a plus de trente ans, la multinationale rachète les terrains à l’Etat et supervise la promotion immobilière de ces villes, selon son cahier des charges.
Dès le départ, la multinationale voulait éviter, comme à Los Angeles, de voir son parc encerclé par un urbanisme chaotique, qu’elle ne maîtrisait pas, empêchant toute expansion et la confrontant à la concurrence d’hôtels qui ne sont pas les siens. Et voilà que le bazar s’infiltre là où Disney ne l’avait pas prévu.
« Dans ma résidence, c’est devenu invivable », témoigne Jérôme (le prénom a été changé à sa demande), un habitant de Chessy. Tous les jours, le bruit des valises à roulettes, des groupes qui sonnent à la mauvaise porte, des poubelles laissées n’importe où… Lui a fait le compte : il y aurait vingt-quatre meublés touristiques dans sa copropriété, qui compte une soixantaine d’appartements. « Mes voisins deviennent fous. Beaucoup déménagent, d’autres font des dépressions, divorcent… »
Ce père de deux enfants a dû installer un clic-clac dans son salon : impossible de dormir dans l’une des chambres, située au-dessous d’un meublé. « Trop de bruit de sexe, l’après-midi, le soir. J’ai appris à en rire, mais c’est infernal », raconte ce trentenaire, qui assure que certains de ces appartements servent parfois à des activités de prostitution. « Dans l’ascenseur, ça m’est arrivé de croiser des escorts. Parfois je discute avec elles : elles viennent quelques heures, puis repartent pour Londres ou Bruxelles. Depuis la gare TGV de Marne, vous allez partout, et ici, c’est plus discret et moins cher que Paris. »
« Les visiteurs n’ont pas conscience des nuisances dans un quartier résidentiel comme le nôtre », abonde Sophie, cadre dans le secteur du luxe, qui vit à Chessy depuis trente ans. Devant les fenêtres de sa maison, située dans une impasse, des groupes de visiteurs s’installent car on y aperçoit, au bout, le château de la Belle au bois dormant. Les soirs de feu d’artifice, c’est le bazar jusqu’à une heure avancée de la nuit. « L’autre problème, c’est que ça tue la vie de quartier. Avant, je connaissais des habitants. Depuis cinq ans, j’ai l’impression de ne croiser que des valises et des sacs Disney… »
Parfois, la mobilisation des habitants finit par payer. Sylvie Lachaud, 43 ans, aide à domicile, voyait défiler des groupes de jeunes Français, Néerlandais ou Britanniques dans le pavillon mitoyen du sien. « Ils arrivaient à dix, parfois plus, pour visiter Paris ou Disney, pour des enterrements de vie de garçon… Ils faisaient la nouba parfois jusqu’à 7 heures du matin. » Elle estime à 130 le nombre de groupes qui ont défilé en moins de deux ans – « et seulement deux ou trois de correct ». Avec « toute la rue », elle a bataillé pour stopper cette noria, prévenu la police, la mairie, lancé une pétition. « Il s’agissait en réalité d’une locataire qui sous-louait son pavillon sur Airbnb. Le propriétaire a fini par la faire partir. »
Outre les nuisances, cette inflation des meublés touristiques a une autre conséquence : elle crée une tension supplémentaire sur le marché immobilier. Océane Chauche, jeune Ardéchoise arrivée en septembre en Ile-de-France, n’arrive pas à trouver un studio autour du Val d’Europe. Son CDI de vendeuse en cosmétiques dans le centre commercial ne suffit pas. « Les agences demandent un salaire trois fois supérieur au loyer, or, pour 500-600 euros, les offres sont très rares, tout est pris d’assaut. »
En attendant, elle loge chez une cousine à Chevreuse, et passe quatre heures par jour dans les transports. « Quand un logement est en vente, ou dès qu’on construit de nouvelles résidences, les investisseurs sautent dessus pour en faire du Airbnb. Cela a retiré du marché locatif tout un tas d’appartements », regrette Philippe Descrouet, président du Val d’Europe. La rentabilité d’un meublé de tourisme serait deux fois plus importante que celle d’un logement loué avec un bail classique, selon un directeur d’agence du secteur.
Du point de vue des élus, la situation est devenue incontrôlable. Au point que début juillet, l’agglomération a adopté une réglementation très stricte, applicable au 1er janvier 2023, qui s’inspire, tout en allant plus loin, de celles prises à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) ou à Paris. Celle-ci fixe un pourcentage maximum de meublés touristiques par copropriété – entre 1 % et 2 % selon les quartiers. Si ce quota est dépassé, un tirage au sort aura lieu. Le texte limite aussi le nombre de meublés touristiques par propriétaire, instaure un système d’autorisations temporaires soumises à probation, et d’autorisations permanentes tributaires d’un mécanisme dit de compensation (le propriétaire doit transformer un local en logement pour compenser la « perte » de celui qu’il met en meublé touristique).
Le texte a été attaqué en justice par un collectif de propriétaires et d’agences, qui ont eu gain de cause. Début novembre, en attendant de se prononcer sur le fond, le tribunal administratif de Melun a suspendu en référé la réglementation, notamment car la pénurie de logements dans le secteur ne serait pas avérée. La semaine dernière, l’agglomération a fait appel de cette décision devant le Conseil d’Etat.
Bien évidemment, la suspension du texte a réjoui Airbnb. Si la plate-forme confirme sa volonté d’accompagner les villes dans la mise en œuvre des réglementations existantes (autorisation de changement d’usage, enregistrement obligatoire…), elle estime « contre-productif de créer des dispositifs qui excèdent le cadre réglementaire national et se révèlent fragiles juridiquement, tels des quotas ».
« On a l’impression que les villes passent leur temps à faire le concours Lépine des mesures les plus restrictives, pour ne pas aborder les vrais sujets », abonde Dominique Debuire, qui préside l’Union nationale pour la promotion de la location de vacances, et porte la parole des plates-formes de meublés touristiques. L’un des vrais sujets, selon lui, serait le manque de solutions d’hébergement dans le secteur : Disney compte seize millions de visiteurs par an, alors que l’offre hôtelière n’est que de 11 500 chambres à Val d’Europe.
De nombreux propriétaires de meublés sont en tout cas très inquiets de cette possible évolution réglementaire. « Si elle était appliquée, cela reviendrait à interdire les meublés sur le territoire », résume Victor Steinberg, avocat de plusieurs d’entre eux. Selon lui, « on utilise le marteau pour traiter des problèmes ponctuels de voisinage ». Il fait valoir que de nombreuses personnes vivent de cette économie, de manière directe ou indirecte. « Ce sont des gens qui ont acheté un ou deux biens avec emprunt, qui en ont parfois fait leur métier, et comptent sur ces revenus pour leur retraite. Ce ne sont pas des multipropriétaires qui vivent à Dubaï », plaide-t-il.
Certains essaient de faire bien les choses : un propriétaire de trois appartements, ex-salarié de Disney, a installé des détecteurs de bruit dans ses meublés : il reçoit une notification dès qu’un certain niveau sonore est dépassé. Il vit de cette activité. « On nous prend pour des vilains rentiers, mais mon quotidien, c’est de nettoyer les murs, changer des cuvettes de toilettes, gérer des arrivées, intervenir dès qu’il y a des problèmes. Nos clients n’ont pas les moyens de payer des nuits d’hôtel à 500 euros, ils sont contents d’avoir des appartements pour voyager en famille sans grever leur porte-monnaie », déclare ce père de famille, qui souhaite rester anonyme.
D’un loueur à l’autre, les garde-fous divergent. « Le principal problème, ce sont ces propriétaires qui utilisent des boîtes à clés à code, et ne rencontrent pas les occupants », pointe Nicolas Suchet, qui a créé il y a un an une conciergerie au Val d’Europe. Cet ancien footballeur gère une vingtaine de biens en Airbnb pour ses clients, et s’attache à faire la remise des clés en personne, avec un topo sur les contraintes liées à la vie au sein de ces résidences. De quoi limiter largement les problèmes. « Mais il arrive qu’on soit piégé. Une fois, j’ai découvert le dimanche matin qu’il y avait eu une grosse fête dans un logement. J’ai prévenu le propriétaire et j’ai pris à ma charge toutes les dégradations. Une fois, j’ai été prévenu par un voisin d’un cas de prostitution : je suis allé voir les forces de l’ordre. Je suis vigilant pour repérer ces situations. Quand une fille seule de 19 ans loue une semaine un appartement pour 700 euros, ça interroge. »
Si Disney ne souhaite pas s’exprimer sur l’expansion des meublés touristiques autour de son parc, le président de l’agglomération laisse comprendre qu’il bénéficie, dans sa croisade, du blanc-seing de son puissant voisin, qui possède sept hôtels sur le territoire. « Je ne lâcherai rien, on ira jusqu’au bout », assure Philippe Descrouet. L’une de ses victoires : il a négocié avec Disney l’ajout d’une mention pour les nouvelles constructions prévues au Val d’Europe. Sur l’acte notarié du futur propriétaire, il sera spécifié que la location en meublé touristique est tout simplement… interdite.
Jessica Gourdon